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Le Dilemme de l’« ATMIS » : Défis pour le maintien de la paix et l’escalade des attaques terroristes en Somalie

La Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) a officiellement débuté ses opérations le 1er janvier 2025, succédant à la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), dont le mandat a pris fin le 31 décembre 2024. Cette transition représente un changement significatif dans l’approche de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie, reflétant les défis persistants et les transformations stratégiques dans la région. Les principaux objectifs de l’ATMIS englobent les initiatives de consolidation de la paix et la lutte contre le groupe armé al-Shabaab, tandis que les responsabilités de construction de l’État sont transférées aux partenaires internationaux et au gouvernement fédéral somalien. Cependant, l’histoire de l’intervention internationale dans la crise somalienne soulève constamment la question des « faux départs », un concept mis en évidence par le socialiste français René Dumont en 1962. Dans le contexte africain, « faux départ » fait souvent allusion à des initiatives inefficaces, en particulier dans les domaines politique, économique ou de la sécurité. Cet article explore le contexte historique des missions de l’ONU et africaines en Somalie, la transition récente vers l’ATMIS et les défis auxquels elle est confrontée.

L’héritage des interventions internationales :

Les efforts de maintien de la paix en Somalie ont été marqués par une série d’interventions internationales complexes visant à rétablir la stabilité au milieu de conflits prolongés et de guerres civiles. Les racines de ces efforts remontent au début des années 1990, après l’effondrement du régime du président Mohamed Siad Barre en 1991, qui a plongé le pays dans une guerre civile dévastatrice. Les Nations Unies ont lancé leur première opération de maintien de la paix, l’ONUSOM I, en 1992, afin de faciliter l’aide humanitaire et de servir de médiateur entre les factions belligérantes. Cependant, cette mission a rencontré des défis importants, conduisant au déploiement d’une opération de suivi plus robuste, l’ONUSOM II, en 1993. Cette opération visait non seulement à fournir une assistance humanitaire, mais aussi à s’engager dans des efforts de construction de l’État. Néanmoins, la Somalie a sombré dans des affrontements armés entre milices locales, notamment lors de la tristement célèbre bataille de Mogadiscio en 1993, qui a finalement abouti au retrait des forces américaines et de l’ONU en 1995.

En réponse à l’instabilité chronique, l’Union africaine a créé la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) en 2007. Le mandat de l’AMISOM était de soutenir le gouvernement fédéral de transition et de lutter contre le mouvement terroriste al-Shabaab, qui avait acquis une influence considérable dans la région. Tout au long de son mandat, l’AMISOM a obtenu plusieurs succès notables, notamment la protection des administrations successives du gouvernement fédéral de transition et la facilitation du retrait des troupes éthiopiennes de Mogadiscio, ce qui a contribué à atténuer le ressentiment local contre les forces étrangères. De plus, l’AMISOM a joué un rôle essentiel dans la formation des forces de sécurité somaliennes et a participé à divers projets humanitaires visant à améliorer les conditions de vie des populations déplacées.

Une autre transition s’est produite de l’AMISOM à la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (ATMIS) le 1er avril 2022. Ce changement a été autorisé par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine avec pour objectif de soutenir le gouvernement fédéral somalien dans la mise en œuvre du plan de transition somalien. L’ATMIS a été conçue pour transférer progressivement les responsabilités de sécurité aux forces et institutions somaliennes, tout en continuant à lutter contre al-Shabaab et à promouvoir les efforts de consolidation de la paix. La mission a conservé une force d’environ 11 911 personnes et s’est concentrée sur le renforcement des capacités opérationnelles des Forces armées nationales somaliennes.

Défis pour le maintien de la paix :

Ce n’est un secret pour personne que l’ATMIS vise à s’appuyer sur les réalisations de ses prédécesseurs en se concentrant sur les mesures de consolidation de la paix et la lutte contre al-Shabaab, tout en déléguant les efforts de construction de l’État aux partenaires internationaux et au gouvernement fédéral somalien. Malgré ces aspirations, les défis persistent car al-Shabaab, ainsi que l’État islamique, continuent d’exploiter les failles de sécurité et les rivalités claniques au sein de la Somalie. La lutte actuelle pour finaliser les contributions de troupes à l’ATMIS souligne la complexité de l’instauration d’une paix durable dans une région en proie à des tensions historiques et à l’instabilité.

  1. Défis liés à la génération de forces militaires :

Bien que l’ATMIS cherche à maintenir une force d’une taille comparable à celle de son prédécesseur, l’ATMIS (11 911 personnes), elle est confrontée à des défis liés à la génération de forces. La période précédant le lancement de la mission a été marquée par le retrait du Burundi de la force de maintien de la paix en raison de désaccords sur l’allocation des troupes. Le Burundi a demandé 2 000 soldats pour assurer la sécurité de ses opérations, mais la Somalie n’a alloué que 1 000. Le retrait du Burundi crée indéniablement un vide dans la génération de forces, car aucun remplacement pour sa contribution n’a été annoncé, ajoutant une couche d’incertitude concernant la préparation de la mission et sa capacité à atteindre ses objectifs de sécurité. Le Burundi, l’un des plus grands pays contributeurs de troupes aux missions de l’UA en Somalie, a joué un rôle important dans la réalisation de nombreux succès, notamment la libération de Mogadiscio en 2011 et la capture et la protection d’autres lieux stratégiques.

  1. La contribution éthiopienne et les préoccupations concernant les conflits régionaux :

En janvier 2025, l’Éthiopie a annoncé son intention de continuer à soutenir l’ATMIS avec ses troupes, suite aux efforts de médiation turcs par le biais de la déclaration d’Ankara. Malgré le fait de saluer cette décision, la participation de l’Éthiopie pourrait soulever des inquiétudes en Somalie en raison de tensions antérieures entre les deux pays concernant un accord portuaire avec le Somaliland. La coopération entre les deux parties nécessite la mise en place d’une confiance à long terme pour garantir l’efficacité des opérations conjointes. Cependant, suite à la visite du président Hassan Sheikh Mohamud à Addis-Abeba, la Somalie a annoncé que les obstacles empêchant la participation de l’Éthiopie à l’ATMIS avaient été résolus, ouvrant la voie aux forces éthiopiennes pour rejoindre la mission.

  1. La menace croissante d’al-Shabaab :

Alors que l’ATMIS est aux prises avec des défis opérationnels et diplomatiques, al-Shabaab cherche à capitaliser sur ces failles de sécurité. Selon des rapports américains, le groupe a repris de vastes pans de territoire qu’il avait précédemment perdus, en particulier dans le centre et le sud de la Somalie. Cette résurgence est en partie attribuée à l’incapacité du gouvernement somalien à maintenir une pression militaire dans les zones en proie aux conflits claniques, ce qui entrave la mobilisation des efforts contre le groupe. De plus, al-Shabaab a eu recours à des tactiques non conventionnelles, faisant preuve d’une capacité à lancer des attaques sophistiquées, notamment des attentats suicides et des attaques contre des bases militaires et des installations gouvernementales. En outre, le groupe tente de s’étendre dans les zones rurales reculées où la présence sécuritaire est faible, ce qui lui permet d’établir de nouveaux bastions et de reconstituer ses forces.

  1. Tensions claniques et absence de stabilité interne :

Les tensions claniques en Somalie figurent parmi les défis les plus importants qui entravent les efforts de consolidation de la paix et de stabilisation dans le pays. Les conflits tribaux en cours compliquent les opérations visant à former un front uni contre les groupes extrémistes comme al-Shabaab. Ce mouvement exploite les divisions claniques pour renforcer son influence, impliquant des clans dans des querelles anciennes et créant de nouveaux différends. Cela affaiblit le soutien populaire au gouvernement et donne à al-Shabaab plus de latitude pour reconstruire ses capacités et s’étendre. Par exemple, la Somalie centrale a été le théâtre d’affrontements violents entre clans, comme ceux de la région de Galgadud, qui ont fait 55 morts et 155 blessés. Ces conflits découlent souvent de la compétition pour des ressources limitées, comme l’eau et la terre, en particulier à la lumière des conditions climatiques difficiles que le pays a connues récemment. Al-Shabaab tire profit de ces conflits en alimentant les anciennes rivalités entre clans, démantelant ainsi les efforts visant à lutter contre le mouvement.

  1. Faiblesse de la coordination entre les pays contributeurs :

La faiblesse de la coordination entre les pays qui contribuent à l’ATMIS est un obstacle majeur à la réalisation de progrès tangibles dans la lutte contre l’extrémisme en Somalie. Chaque pays a des priorités différentes, ce qui conduit à un manque d’harmonie dans les plans et les opérations, entraînant des retards dans la mise en œuvre des opérations conjointes. Ces retards donnent à al-Shabaab l’occasion de se regrouper et d’exploiter les failles de sécurité résultant d’une mauvaise coordination. De plus, l’absence d’un plan unifié pour la distribution des ressources et des équipements entrave l’efficacité des opérations militaires et accroît la complexité de la situation sécuritaire. Pour améliorer l’efficacité de la mission, il est recommandé de créer une salle d’opérations unifiée afin d’améliorer la coordination entre les pays contributeurs. Cela contribuera à renforcer les efforts de sécurité conjoints et à améliorer la capacité de l’ATMIS à faire face aux défis croissants.

Les risques de l’ascension de l’EIIS :

Le 31 décembre 2024, l’EIIS en Somalie a mené son attaque la plus sophistiquée à ce jour dans le pays, ciblant des bases des forces de sécurité dans la région de Bari, au Puntland. Utilisant une combinaison d’engins explosifs improvisés (EEI) montés sur des véhicules et de gilets suicides, l’assaut a marqué une escalade significative des capacités opérationnelles de l’EIIS en Somalie. Les bases ciblées sont situées à environ 60 kilomètres au sud des zones de soutien de l’EIIS dans les montagnes de Cal Madow, une région connue pour son terrain accidenté et un bastion du groupe. Cette opération représente non seulement la première attaque suicide lancée par l’EIIS en Somalie depuis début 2023, mais aussi l’assaut le plus sophistiqué mené par le groupe depuis le siège de la capitale de l’État régional du Puntland, Bosaso, en 2017.

L’afflux de combattants étrangers en Somalie au cours des dernières années a renforcé les capacités opérationnelles de l’EIIS, lui permettant de mener une attaque aussi complexe. Des éléments suggèrent que des militants étrangers de divers pays ont participé à cette opération, soulignant la composition de plus en plus internationale de l’EIIS. Historiquement, les combattants étrangers ont joué un rôle crucial dans l’amélioration de l’efficacité opérationnelle des groupes salafistes-djihadistes, contribuant à l’expertise et aux ressources qui facilitent des attaques plus sophistiquées.

Il convient de noter que l’EIIS génère des revenus substantiels grâce à l’extorsion, à la taxation illégale et à l’exploitation des zones montagneuses non gouvernées dans le nord de la Somalie en tant que plateformes logistiques. Ce financement ne soutient pas seulement les opérations locales, mais s’étend également aux branches de l’EIIS dans le monde entier, y compris celles d’Afghanistan et du Yémen. Les ressources financières dirigées vers la province de Khorasan de l’EIIS en Afghanistan sont particulièrement préoccupantes en raison de son implication dans des complots d’attaques externes contre des cibles occidentales.

En conclusion, l’ATMIS représente un moment crucial dans les efforts visant à parvenir à la stabilité en Somalie. Cependant, elle est confrontée à de nombreux défis aux niveaux national et régional. Le succès de sa mission cette fois-ci exige d’éviter le syndrome des « faux départs » en Afrique et de tirer les leçons des missions de maintien de la paix précédentes. Une approche méticuleuse pour aborder les complexités opérationnelles et politiques, tout en assurant une coopération efficace entre les pays contributeurs et le gouvernement somalien, pourrait être la clé pour atteindre cet objectif. Sinon, les vides sécuritaires et politiques pourraient continuer à alimenter les menaces croissantes, affectant l’avenir de la sécurité et de la stabilité en Somalie. Dans un tel scénario, la Somalie risque de devenir un foyer pour les organisations djihadistes violentes, dirigées par Al-Qaïda et l’EIIS.

Mohamed SAKHRI

Je suis Mohamed Sakhri, fondateur de World Policy Hub. Je suis titulaire d’une licence en science politique et relations internationales, ainsi que d’un master en études de sécurité internationale. Mon parcours académique m’a offert une solide base en théorie politique, affaires mondiales et études stratégiques, me permettant d’analyser les défis complexes auxquels sont confrontés aujourd’hui les États et les institutions politiques.

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