La guerre en Ukraine a incité l’OTAN à accorder plus d’attention à la région du Caucase, qui comprend la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en raison des conséquences significatives sur la sécurité de la région. L’intérêt de l’OTAN pour renforcer sa présence ces dernières années s’explique également par son importance géopolitique et stratégique, notamment après sa séparation de l’Union soviétique au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, ce qui l’a placée au premier plan des préoccupations de politique étrangère des puissances mondiales. Cela vise à tenter de limiter l’influence russe dans la région et à bénéficier d’une situation stratégique au carrefour entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient, sans oublier le fait qu’elle abrite un certain nombre d’oléoducs et de gazoducs.
En outre, la région du Caucase est confrontée à des défis sous la forme de problèmes sociaux, politiques et économiques résultant de l’effondrement de l’Union soviétique, parmi lesquels figure en première ligne le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet du Haut-Karabakh. L’importance de cette région soulève de nombreuses questions sur les dimensions que l’OTAN a exploitées pour y renforcer sa présence, ainsi que sur la nature des réactions internationales et régionales à cette présence.
Dimensions de la présence
Plusieurs dimensions déterminent la nature de la présence croissante de l’OTAN dans le Caucase, notamment :
La transformation de la région en une arène de compétition russo-occidentale : La situation actuelle dans la région du Caucase constitue un terrain de jeu complexe pour les calculs politiques entre la Russie et l’OTAN, en raison de la multiplicité des zones de conflit d’intérêts entre elles dans la région, y compris le conflit sur les champs pétroliers et gaziers de la mer Caspienne. Les intérêts de l’OTAN se heurtent sérieusement aux intérêts russes, cette dernière utilisant des « conflits gelés » depuis des décennies afin de maintenir la région et les infrastructures pétrolières et gazières sous son contrôle politique. Cependant, l’opinion publique arménienne a fortement changé pour contrer la présence russe, ouvrant la porte aux membres de l’OTAN – les États-Unis en tête – pour qu’ils bénéficient des transformations politiques dans les pays de la région.
Dans le même temps, la guerre en Ukraine a réduit l’attention de Moscou sur le Caucase du Sud, tout en augmentant sa dépendance vis-à-vis de l’Azerbaïdjan et de la Turquie (le membre le plus important de l’OTAN de la région) pour gérer les relations économiques dans la région. Cela a conduit au renforcement des relations entre Bakou et Ankara, ce qui a ouvert la voie au reste des membres de l’alliance pour s’appuyer sur l’influence turque dans la région, inquiétant l’Iran quant aux changements géopolitiques et à la nature de l’équilibre des forces dans la région.
La politique de l’OTAN à l’Est : Depuis 1990, il est de notoriété publique que certains pays d’Europe de l’Est aspirent à adhérer à l’OTAN. Ainsi, après l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’OTAN en 2004, le Caucase du Sud a commencé à être perçu comme une nouvelle frontière de l’OTAN, une région d’importance croissante pour la sécurité eurasienne. De plus, de nombreux politologues européens estiment que cette région revêt également une importance économique, grâce à ses riches ressources naturelles, en particulier dans la mer Caspienne, et sa proximité avec trois pays principaux : la Russie, la Turquie et l’Iran.
En conséquence, cette région connaît un intérêt accru de la part de l’OTAN, en particulier après que les tensions se sont encore accentuées avec les tentatives de la Géorgie et de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN, développements ayant contribué de manière significative à la guerre entre la Russie et la Géorgie en 2008, ainsi qu’à la complexité du conflit russo-ukrainien en 2014 et 2022. Ce contexte de pression mutuelle entre Kiev et l’OTAN vise à accélérer le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’alliance le plus rapidement possible.
Diversification des sources d’énergie : Avec l’émergence de nouveaux risques mondiaux, le domaine de la sécurité s’élargit vers des questions de sécurité non conventionnelles, au premier rang desquelles figure la sécurité énergétique. Les sources d’énergie, devenues plus politisées, représentent une arme de coercition efficace et créent des différends irréconciliables entre producteurs et consommateurs d’énergie. Depuis que l’OTAN a reconnu que la sécurité énergétique est devenue une préoccupation majeure pour la sécurité européenne, le rôle du Caucase en tant que corridor de transport et d’énergie a pris une importance considérable.
Ainsi, le besoin croissant de diversification énergétique et de coopération sur les questions de transfert d’énergie a peut-être incité l’Occident à accorder une grande importance à la région et à considérer les oléoducs et gazoducs reliant l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie comme des voies de transit fiables, évitant les territoires russe et iranien. Les États-Unis comptent en partie sur le rôle du Caucase du Sud pour assurer la sécurité énergétique de l’Europe ; la Maison-Blanche a déjà fortement soutenu le projet de corridor gazier sud de l’Azerbaïdjan, qui acheminera le gaz Shah Deniz 2 vers les consommateurs européens.
Exploiter l’attitude occidentale à l’égard des pays du Caucase : les deux alliés régionaux de Washington, la Géorgie et l’Ukraine, exhortent l’Occident depuis plus d’une décennie à construire une force de dissuasion dans la région de la mer Noire (adjacente au Caucase) afin de dissuader toute éventuelle attaque russe. Ces deux pays, en tant que non-membres de l’OTAN, sont presque entièrement vulnérables à l’incursion militaire russe. Cependant, la plupart de leurs avertissements sont restés lettre morte jusqu’en 2016, date à laquelle ils ont reçu un engagement relativement symbolique de la part de l’OTAN. L’OTAN a établi des lignes de défense dans la mer Noire.
Fait remarquable, la Géorgie a toujours affiché une position favorable à l’OTAN, déployant des efforts soutenus et obtenant des succès tangibles pour réformer son armée et faciliter son intégration dans l’alliance. Par exemple, les États-Unis ont investi environ 200 millions de dollars depuis 2015 dans la modernisation des systèmes de défense de la Géorgie, bien que ce pays ait besoin de bien plus de soutien de la part des membres de l’OTAN, en particulier compte tenu des signaux politiques et militaires du Kremlin selon lesquels un autre conflit en mer Noire est une possibilité réelle dans un avenir proche.
Cette tendance s’est également manifestée dans le cas de l’Arménie, qui est devenue plus sceptique quant au soutien russe. Erevan a accusé Moscou de ne pas l’avoir défendu contre l’Azerbaïdjan, et le Premier ministre arménien Nikola Pashinyan s’est préparé à prendre plusieurs mesures qui ont tendu ses relations avec la Russie, notamment en refusant de participer aux exercices militaires russes et en les remplaçant par des exercices avec les États-Unis, menés dans la capitale Erevan en septembre dernier. Cela pourrait renforcer la présence de l’OTAN dans la région.
Renforcer le partenariat de sécurité avec les pays de la région : Si l’OTAN est une condition sine qua non de la sécurité dans le Caucase du Sud, cela ne signifie pas que les pays du Caucase du Sud doivent en être membres à part entière. La manière la plus prometteuse de pallier le « déficit de sécurité » dans la région est la possibilité d’y étendre progressivement les programmes de l’alliance. Par conséquent, le programme du Partenariat pour la paix (PPP) est un outil inestimable pour établir des ponts politiques et militaires entre l’OTAN et les pays partenaires de la région, augmentant ainsi les chances de sécurité dans la région et contribuant à son développement politique, social et économique. Grâce à ses activités, le Partenariat pour la paix s’est révélé être un mécanisme très efficace pour promouvoir et développer la coopération en matière de défense, ainsi que pour approfondir l’interopérabilité militaire entre l’OTAN et les pays du Caucase du Sud.
À cet égard, la Géorgie s’est efforcée de participer en permanence aux exercices militaires de l’OTAN, et cette participation a permis aux forces géorgiennes d’apprendre de leurs homologues de l’OTAN, en raison de leur exposition à divers systèmes et opérations militaires occidentaux. Lors du sommet de Madrid de 2022, les alliés ont approuvé un ensemble de mesures de soutien adaptées à la Géorgie, l’un des partenaires de l’OTAN les plus directement touchés par les menaces extérieures, ainsi qu’à sa proximité directe avec l’environnement de sécurité complexe résultant de la guerre russo-ukrainienne.
Préoccupations régionales
Les réactions internationales et régionales à la présence de l’OTAN dans le Caucase ont été mitigées, certains pays, comme la Russie, la Chine et l’Iran, considérant l’OTAN comme une menace pour leurs intérêts de sécurité dans la région, tandis que d’autres, comme la Turquie et la Géorgie, voient dans l’OTAN une source de sécurité et de stabilité. Les positions de ces États peuvent donc être examinées comme suit :
Forte opposition de Moscou : Depuis la dissolution de l’Union soviétique, la Russie est déterminée à dominer les pays post-soviétiques et a déclaré que cette stratégie est une priorité pour sa politique étrangère. Elle s’oppose donc fermement à la présence de l’OTAN dans la région du Caucase du Sud et considère l’expansion de l’alliance dans la région comme une menace directe pour ses intérêts de sécurité. Le président russe Vladimir Poutine déclare toujours que la présence d’une alliance militaire forte à ses frontières est une menace directe pour la sécurité nationale russe.
Par conséquent, Moscou a soutenu la formule 3+3 proposée par Téhéran pour la coopération régionale dans le Caucase du Sud après le déclenchement de la deuxième guerre dans le Haut-Karabakh en 2020, conformément à leur approche commune traditionnelle de non-ingérence et de non-intervention des puissances occidentales, en particulier des États-Unis et de l’OTAN, dans le Caucase du Sud. Pour sa part, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a expliqué en juillet dernier que l’implication de l’OTAN dans le Caucase du Sud déstabiliserait la région et retarderait un règlement de paix complet pendant longtemps, notant que « ce n’est pas une coïncidence si des représentants canadiens se sont récemment joints à la mission d’observation de l’Union européenne en Arménie ».
L’inquiétude et le rejet croissants de l’Iran : De son côté, l’Iran considère également la présence de l’OTAN près de ses frontières dans la région du Caucase comme une menace majeure pour ses intérêts sécuritaires. Lors de ses rencontres avec Armen Grigorian, secrétaire du Conseil de sécurité arménien, et Khalaf Khalafov, représentant du président de l’Azerbaïdjan pour les missions spéciales, en octobre, le président iranien Ebrahim Raïssi a exprimé son ferme rejet de la présence des forces de l’OTAN dans la région du Caucase du Sud et a souligné ses craintes en déclarant : « Le corridor de Zangezor deviendra la base de la présence des forces de l’OTAN dans le Caucase du Sud, ce qui constituera une menace pour la sécurité nationale des pays de la région. La République islamique s’y oppose fermement ».
Téhéran accuse l’OTAN d’être un outil de l’impérialisme occidental, c’est pourquoi il a intensifié ses efforts pour contrer l’influence de l’alliance dans la région ces dernières années, en augmentant sa coopération militaire avec l’Arménie et la Russie, en développant ses propres capacités militaires et en essayant de nouer des liens plus étroits avec les républiques d’Asie centrale, situées dans le Caucase du Nord. En juillet 2023, Ali Akbar Velayati, ancien ministre iranien des Affaires étrangères, a publié un article dans l’agence de presse Tasnim mettant en garde Moscou contre l’inefficacité de sa politique étrangère dans le Caucase du Sud, qui permet de nouvelles incursions dans les politiques de sécurité occidentales dans cette région.
Intervention soudaine de la Chine dans la région : Alors que les puissances occidentales sont préoccupées par la guerre en Ukraine, la Chine semble prendre des mesures prudentes pour renforcer sa position dans la région du Caucase, où l’accord de partenariat stratégique annoncé par Pékin et Tbilissi fin juillet en a surpris plus d’un en Occident. Cette avancée diplomatique intervient dans un contexte de relations traditionnellement chaleureuses entre la Chine et la Géorgie, qui a signé un accord de libre-échange en 2017.
Les raisons et le calendrier de la publication du document de coopération stratégique semblent également mettre en évidence la situation géopolitique instable dans le Caucase du Sud, ainsi que les tentatives impulsives de la Chine de renforcer sa position dans la région. Plus important encore, la Chine tente d’exploiter les efforts de la Géorgie pour manœuvrer entre l’Ouest et l’Est, en particulier avant la décision décisive de l’UE d’accorder à Tbilissi le statut de candidat tant attendu.
Pour la Chine, l’élargissement des relations avec la Géorgie ouvrirait la voie à une plus grande présence dans le Caucase du Sud, bien que la région ne soit pas couverte par les couloirs de l’initiative « la Ceinture et la Route ». Elle ne vise pas non plus à donner trop d’opportunités à l’Occident, et à l’OTAN en particulier, d’étendre son influence dans les zones proches de l’influence chinoise, en particulier en Asie centrale.
La divergence de position de la Turquie : Grâce à son appartenance à l’OTAN, la Turquie est la fenêtre de l’OTAN sur l’ancien espace soviétique, en raison de ses fortes capacités militaires et de ses caractéristiques géopolitiques uniques, en particulier ses frontières avec les pays du Caucase. C’est donc un fervent partisan de la présence de l’OTAN dans la région du Caucase, car Ankara considère l’OTAN comme un moyen de renforcer la stabilité et la sécurité dans la région, en particulier pour contrer l’influence croissante de l’Iran.
Cependant, la Turquie s’inquiète également de la possibilité que l’expansion de l’OTAN dans la région du Caucase du Sud puisse accroître les tensions avec la Russie. Les deux pays entretiennent des liens politiques et économiques étroits et ne veulent donc pas s’impliquer dans un conflit avec Moscou sur le Caucase du Sud. En conséquence, Ankara a tenté de trouver un équilibre entre son soutien à l’OTAN et son désir de maintenir de bonnes relations avec la Russie en servant de médiateur entre la Russie et les pays du Caucase afin de résoudre pacifiquement les conflits dans la région.
Bienvenue de Tbilissi : la Géorgie est le pays le plus pro-OTAN du Caucase du Sud, car c’est le seul pays qui a encore une orientation euro-atlantique significative. Depuis la guerre russo-géorgienne de 2008, Tbilissi œuvre depuis de nombreuses années pour son adhésion à l’OTAN. Bien qu’elle ne soit pas actuellement activement attaquée par Moscou, elle fait face à la même menace que l’Ukraine et considère donc l’OTAN comme un moyen d’assurer sa sécurité et sa souveraineté. En conséquence, elle coopère étroitement avec l’OTAN dans le cadre du programme de partenariat pour la paix, alors que cette coopération se heurte à une forte opposition de la part de la Russie, qui a averti à plusieurs reprises qu’elle prendrait des mesures pour protéger ses intérêts si la Géorgie rejoignait l’OTAN.
L’ouverture de l’Arménie à l’alliance : Ces dernières années ont vu une augmentation des indicateurs de l’ouverture de l’Arménie à l’OTAN. L’Arménie a commencé à recalculer ses relations avec Moscou, ce qui peut expliquer la tenue d’exercices militaires conjoints avec les États-Unis en septembre dernier. Certains responsables occidentaux ont profité de ces changements pour promouvoir la possibilité d’une inclusion de l’Arménie dans l’alliance. En septembre dernier, par exemple, Günther Fellinger, président du Comité européen pour l’élargissement de l’OTAN, a appelé l’Arménie à rejoindre l’alliance. Certains, dont Sargis Khandanian, président de la Commission parlementaire permanente des relations étrangères de l’Arménie, ont exclu l’adhésion de l’Arménie à l’alliance, mais cela n’a pas annulé les récentes chances de rapprochement.
conclusion
L’OTAN manque sans doute de cohérence dans sa politique à l’égard du Caucase. Le bloc de sécurité prend soin de ne pas irriter la Russie. La guerre russo-ukrainienne a rendu l’Occident plus réticent à intervenir, de sorte que l’accélération de l’expansion dans le Caucase du Sud ne devrait pas être à l’ordre du jour de l’OTAN dans un avenir prévisible. D’autre part, nous pouvons supposer que l’OTAN est en mesure d’équilibrer la Russie et de faciliter l’intégration globale de la région dans les institutions de l’OTAN grâce à ses programmes de partenariat, de sorte que l’intérêt de l’alliance pour le Caucase est susceptible de s’intensifier dans les années à venir, compte tenu de son importance géopolitique, stratégique et économique pour les membres de l’OTAN.