Les acteurs armés non étatiques constituent une composante essentielle des dynamiques au Moyen-Orient. Ils ont émergé suite à l’accumulation et l’aggravation des conflits internes, ainsi qu’aux interventions étrangères, ce qui a renforcé leur influence au détriment des États centraux. Récemment, on observe diverses approches pour traiter avec ces acteurs armés : certains cherchent à les intégrer dans des cadres politiques ou militaires, comme en Syrie (accord entre le président Ahmad Al-Sharaa et les Forces démocratiques syriennes), d’autres essaient de les affaiblir comme le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, tandis qu’un troisième courant tente de les contenir et d’apaiser les tensions, comme c’est le cas en Irak.
Ces orientations reflètent de nouvelles dynamiques dans le conflit régional, fondées sur des motivations diverses : certaines sont liées aux interactions entre stratégies régionales et internationales, d’autres découlent des transformations internes dans les États concernés, de la puissance militaire de ces groupes et de leur influence géographique.

Tendances à l’intégration
Les tendances à l’intégration représentent l’un des développements les plus marquants concernant les acteurs armés, notamment en Syrie. Les parties en conflit cherchent à restructurer le conflit et à trouver des solutions plus durables, loin des combats prolongés. L’un des exemples les plus significatifs est celui des Forces démocratiques syriennes (FDS) qui ont signé, le 10 mars 2025, un accord avec le président Al-Sharaa pour intégrer toutes les institutions civiles et militaires de l’administration autonome kurde dans le cadre de l’État syrien.
Les principales motivations de cette intégration reposent sur la conscience qu’ont ces groupes que la rivalité interne pourrait compliquer la situation et conduire à des défaites stratégiques. Ainsi, leur inclusion dans des alliances plus larges est une manière de réduire les frictions avec leurs adversaires et d’assurer une certaine stabilité dans les zones qu’ils contrôlent, notamment pour les FDS qui tentent de promouvoir des intérêts communs entre les forces kurdes et certaines factions arabes. De plus, cette orientation constitue une réponse aux pressions internationales, en particulier de la part des États-Unis qui soutiennent les FDS et les encouragent à rejoindre des alliances plus larges afin de faciliter la gestion des zones sous leur contrôle, notamment dans le nord-est de la Syrie.
Cependant, plusieurs défis entravent cette dynamique, principalement les divergences idéologiques et politiques. Bien que l’accord entre Al-Sharaa et les FDS porte sur une coopération militaire et politique, les différences profondes entre les deux parties représentent un obstacle majeur qui pourrait engendrer des fractures internes au sein de ces nouvelles alliances, voire être exploitées par des acteurs extérieurs pour les affaiblir. Par ailleurs, le rôle important joué par des puissances régionales comme la Turquie et l’Iran en Syrie peut freiner toute tentative d’intégration. La Turquie, par exemple, considère les FDS comme une menace à sa sécurité nationale du fait de leurs liens avec le PKK, et cherche donc à s’opposer à toute tentative de renforcement de leur influence.

Cas d’affaiblissement
À l’opposé des efforts d’intégration en Syrie, certaines initiatives visent à affaiblir d’autres groupes armés comme le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen. Ces deux groupes jouent un rôle central dans les conflits régionaux et sont perçus comme des bras armés de l’Iran. Toutefois, les équilibres politiques et militaires régionaux ont récemment évolué, poussant certains acteurs à tenter de limiter l’influence des groupes alliés à Téhéran :
1. Le Hezbollah libanais :
Des efforts ont été menés pour l’affaiblir par plusieurs voies, notamment l’intensification des pressions internationales sur le Liban ces dernières années, à travers des sanctions économiques et diplomatiques. Le Hezbollah, qui bénéficiait auparavant d’une large influence au sein des institutions libanaises, fait désormais face à d’importants défis dans un contexte de crise économique sévère qui a affecté sa capacité à fournir des services et un soutien financier à ses partisans, réduisant ainsi sa popularité.
S’ajoutent à cela les frappes militaires israéliennes répétées qui ont déséquilibré le Hezbollah en éliminant nombre de ses dirigeants de premier et second rangs, en plus de la réduction de ses capacités militaires à la suite des attaques israéliennes contre ses positions dans le sud du Liban. Cela a contribué à réduire son efficacité et son influence au niveau régional.
2. Les Houthis au Yémen :
Accusés d’être un prolongement de l’influence iranienne dans la région, les Houthis font face à une campagne d’affaiblissement menée par des puissances occidentales et Israël dans le but de réduire l’expansion de l’Iran. Ainsi, les frappes américaines ordonnées par le président Donald Trump depuis le 15 mars dernier s’inscrivent dans cette logique. Ces frappes constituent aussi un message indirect à Téhéran que les États-Unis ne toléreront aucune tentative de déstabilisation ou d’élargissement de son influence régionale. Ces actions montrent également la volonté de Washington d’affirmer son rôle militaire et diplomatique dans la région. Toutefois, ces frappes risquent d’accroître les tensions, notamment parce que les Houthis disposent de capacités militaires relativement avancées, comme en témoigne leur attaque contre le porte-avions américain « Harry Truman », ce qui pourrait prolonger l’opération militaire américaine au Yémen.
Efforts d’apaisement
Contrairement aux démarches d’intégration en Syrie ou d’affaiblissement au Liban et au Yémen, certains pays de la région, notamment l’Irak, adoptent une stratégie d’apaisement envers les acteurs armés non étatiques. L’Irak cherche à rétablir la stabilité après des années de guerre contre l’organisation terroriste Daech et de conflits internes, tout en évitant d’être entraîné dans les tensions actuelles liées à la guerre à Gaza.
La pression populaire contre la poursuite du conflit interne et du chaos armé représente l’un des principaux moteurs de cette politique d’apaisement. À cela s’ajoutent les initiatives du gouvernement irakien visant à normaliser les relations avec les factions armées, notamment celles soutenues par l’Iran, qui contrôlaient autrefois de larges zones du territoire. Cela passe par leur intégration dans les forces de sécurité officielles ou la reconnaissance légale et politique de leur participation pacifique à la vie politique, en particulier dans le contexte des récents rapports indiquant que certaines de ces factions seraient, pour la première fois, prêtes à déposer les armes.
Cette tendance à l’apaisement reflète également la volonté des puissances régionales et internationales, notamment les États-Unis et l’Iran, de réduire les tensions. Washington souhaite un Irak stable comme allié stratégique dans la région, tandis que Téhéran cherche à maintenir son influence de manière à éviter une escalade militaire.
Dans la mesure où l’Irak est un terrain clé du conflit entre Téhéran et Washington, toute avancée vers l’apaisement contribuerait à réduire les tensions régionales. Toutefois, cela représente un défi complexe, car l’Iran, ayant perdu en influence au Liban, en Syrie et au Yémen, serait réticent à abandonner ses acquis en Irak.
Répercussions possibles
Les différentes orientations adoptées envers les acteurs armés non étatiques au Moyen-Orient entraîneront diverses conséquences en fonction de l’approche choisie — intégration, affaiblissement ou apaisement — qui influenceront la stabilité des États concernés, les équilibres régionaux ainsi que les niveaux politique, sécuritaire et économique. Parmi les principales répercussions :
1. Restructuration de la carte politique :
L’intégration ou l’affaiblissement de certains acteurs armés pourrait redessiner la carte politique de pays comme la Syrie, le Liban, le Yémen ou l’Irak, entraînant une stabilité relative dans certaines zones, tout en risquant de provoquer de nouveaux conflits avec des groupes non intégrés ou marginalisés, notamment en Syrie. Malgré l’importance de l’accord entre Al-Sharaa et les FDS, qui prévoit une mise en œuvre complète d’ici la fin de l’année, de telles démarches peuvent susciter des résistances.
2. Réduction de l’influence iranienne :
L’affaiblissement du Hezbollah et des Houthis pourrait réduire considérablement l’influence de l’Iran dans la région, modifiant les équilibres entre Téhéran et les autres acteurs régionaux. La réduction de l’emprise iranienne répond aux craintes qu’inspirent le Hezbollah à Israël, en raison de sa présence au sud du Liban, et les Houthis à la navigation maritime internationale en mer Rouge.
3. Renforcement de la stabilité dans certains pays :
L’option de l’apaisement pourrait favoriser une certaine stabilité intérieure, soutenant les efforts de reconstruction et de développement, comme en Irak, où cette approche marque une évolution positive dans la gestion des conflits internes. Le gouvernement cherche à équilibrer les intérêts locaux et internationaux tout en réduisant l’influence des factions armées pro-iraniennes, telles que les Brigades du Hezbollah et Asaïb Ahl al-Haq, qui représentent un défi majeur pour Bagdad.
Conclusion
Les motivations à l’origine des diverses stratégies envers les acteurs armés non étatiques au Moyen-Orient varient entre l’intégration pour apaiser les conflits, l’affaiblissement pour limiter l’influence iranienne, et l’apaisement pour réduire les ingérences étrangères. Ces motivations traduisent l’évolution des dynamiques géopolitiques régionales, marquées par une interaction complexe entre pressions internationales et dynamiques internes, rendant la scène politique et sécuritaire du Moyen-Orient en perpétuelle mutation.

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