Autant la guerre dans la région du Tigré en Éthiopie représentait le sommet de la coordination et du rapprochement érythréano-éthiopien, autant les accords qui ont conclu cette guerre ont marqué le début d’un nouveau chapitre dans la relation entre ces deux rivaux de longue date, caractérisé par une tension latente autour de nombreux problèmes contentieux.

Cette tension a pris une tournure ascendante ces derniers mois, plusieurs indicateurs confirmant la disposition des deux parties à un éventuel cycle de conflit. De nombreuses sources ont rapporté des mouvements de mobilisations militaires blindées de part et d’autre de la frontière, tandis que le gouvernement érythréen annonçait une campagne de mobilisation générale. Le Général Tsadkan Gebretensae a averti dans un article que l’éclatement d’une nouvelle guerre complète entre les deux pays « n’est pas seulement une possibilité, mais un événement inévitable à moins que des mesures préventives immédiates ne soient prises. »

Cet article vise à analyser les motivations sous-jacentes à la tension érythréano-éthiopienne depuis la signature de l’accord de Pretoria en novembre 2022. Il abordera également les indicateurs qui ont récemment émergé, indiquant une escalade et la probabilité d’un engagement militaire, concluant par une explication des conséquences catastrophiques qui suivraient l’éclatement d’une guerre entre les deux nations, et suggérant une solution non seulement pour surmonter la crise actuelle, mais aussi pour traiter les causes profondes de la tension persistante entre Asmara et Addis-Abeba.

Facteurs à l’Origine de la Tension Érythréano-Éthiopienne

Lorsqu’on discute des moteurs de la tension actuelle entre l’Érythrée et l’Éthiopie, ils peuvent être divisés en trois cercles interconnectés : l’un lié aux conditions internes des deux pays, un autre révélant sa connexion avec les dimensions et conflits régionaux, et le dernier liant les ambitions éthiopiennes de retour vers la mer Rouge par le biais érythréen dans un contexte international qui semble annoncer des changements significatifs.

Facteurs Internes :

Ambitions Éthiopiennes d’Accéder à la Mer Rouge : L’intention du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed de doter son pays d’une sortie maritime souveraine est l’un des moteurs clés de la crise actuelle entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Dans un discours qu’il a prononcé en octobre 2023, Ahmed a présenté plusieurs arguments soutenant cette revendication, notamment des facteurs historiques et pratiques liés aux vulnérabilités économiques, démographiques et sécuritaires découlant du statut d’Éthiopie en tant que pays enclavé avec une population de près de 120 millions d’habitants.

Cette rhétorique a suscité des alarmes à Asmara, compte tenu de divers facteurs liés au contexte historique des relations entre les deux pays. L’Éthiopie a entièrement annexé l’Érythrée en 1952, et l’accès à la mer était l’un de ses principaux objectifs dans le contrôle de l’Érythrée, menant finalement au déclenchement de la révolution érythréenne, qui a lutté avec succès pendant trente ans pour obtenir la liberté nationale. Depuis lors, certains courants nationalistes éthiopiens considèrent cela comme une erreur historique qui doit être corrigée.

Un deuxième facteur inquiétant pour Asmara est que bien qu’Ahmed ait minimisé l’utilisation de la force pour obtenir le port dans son célèbre discours et dans une déclaration faite au parlement en novembre 2023, il a mis en garde que cette question pourrait conduire à un conflit si les voies pacifiques échouaient.

Le troisième aspect à noter est que toutes les déclarations éthiopiennes indiquent un désir d’accès à la mer Rouge. Même après la signature du protocole d’accord avec la région séparatiste du Somaliland, la rhétorique éthiopienne est restée axée sur la mer Rouge, ce qui est un indicateur préoccupant pour Asmara, qui a le sentiment que le port d’Assab est la cible de ce discours.

L’Accord de Pretoria et ses Implications : Après deux ans de combats sanglants, le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré ont engagé des négociations qui ont conduit à la signature de l’Accord de Pretoria pour mettre fin aux hostilités entre les deux parties en novembre 2023. Cela représentait une étape prometteuse vers l’établissement de la paix et de la stabilité en Éthiopie.

Bien qu’Asmara ait nié chercher à saper l’accord de Pretoria, elle a maintenu une position négative à son égard, que certains ont qualifiée de « coup dans le dos. » L’Érythrée n’a pas été incluse dans le cadre de cet accord malgré son rôle majeur auprès d’Addis-Abeba dans la guerre contre le Tigré, et son armée a subi des pertes humaines importantes, tandis qu’Asmara faisait face à des pressions et sanctions internationales en raison de son implication dans la guerre.

La position négative d’Asmara sur cet accord découle de multiples motivations, y compris ses dispositions permettant au Tigré de rester une force politique dans le pays, tandis que la direction érythréenne estimait que cette entité politique devait être entièrement démantelée.

Conflit dans la Région Amhara : La signature de l’Accord de Pretoria n’a pas seulement démantelé l’alliance érythréano-éthiopienne, mais a également porté un coup fatal à l’alliance entre Abiy Ahmed et les milices nationalistes amharas, qui étaient des partenaires clés dans la guerre contre le Front de libération du peuple du Tigré. Ces milices estiment avoir été exclues des négociations et ne pas avoir été consultées sur les termes de l’accord de cessez-le-feu avant son approbation.

La question des territoires contestés entre l’Amhara et le Tigré est proéminente dans ce contexte, car le refus absolu de céder le contrôle de ces territoires était l’une des raisons pour lesquelles les nationalistes amharas exigeaient une représentation séparée lors des négociations de Pretoria. Étant donné que les dispositions de l’accord concernant les territoires contestés s’alignent sur la constitution éthiopienne, qui implique leur subordination au Tigré, cela a été vu comme une « ligne rouge » par les membres du parlement éthiopien du Mouvement national amharas. Tout arrangement ne reconnaissant pas cela conduirait à un état d’instabilité perpétuelle dans la région.

Crise dans la Région du Tigré : Après la signature de l’Accord de Pretoria, des désaccords ont rapidement surgi parmi les hauts dirigeants du Tigré, qui se sont ensuite cristallisés en deux factions : l’une incluant l’administration temporaire de transition au Tigré dirigée par Getachew Reda, tandis que l’autre forme un aile du Front de libération du peuple du Tigré dirigée par Debretsion Gebremichael, qui a récemment affirmé son contrôle sur la capitale régionale, Mekelle, imposant son autorité et celle de ses alliés sur de vastes zones de la région.

Dans ce contexte, l’Érythrée a été accusée par diverses parties éthiopiennes d’héberger la faction de Debretsion et de contribuer à l’escalade de ce conflit, ce que ni la faction de Debretsion ni Asmara n’ont nié. Pourtant, les partisans de cette accusation soutiennent que les deux parties partagent une position négative à l’égard de l’accord de Pretoria et un désir de renverser Abiy Ahmed.

Présence Militaire Érythréenne en Éthiopie : Des forces érythréennes sont entrées dans le Tigré pour soutenir le gouvernement fédéral éthiopien contre le Front de libération du peuple du Tigré, contrôlant des parties de la région au-delà des territoires érythréens occupés par l’Éthiopie selon l’Accord d’Alger, que l’Éthiopie tarde à mettre en œuvre.

À la fin de la guerre, l’Accord de Pretoria stipulait le retrait de toutes les forces étrangères du Tigré. Depuis lors, la présence de l’armée érythréenne dans certaines parties de la région est devenue un sujet de discorde entre l’Érythrée et l’Éthiopie, l’administration temporaire du Tigré réitérant sa condamnation de la présence des forces érythréennes et appelant le gouvernement fédéral à garantir leur retrait, tandis que l’Érythrée le dément, affirmant que ses forces sont disséminées « dans son territoire souverain. »

Conclusion : Malgré les tambours de guerre résonnant en Érythrée et en Éthiopie, une confrontation militaire directe et étendue entre les deux semble peu probable. L’Éthiopie, engluée dans des crises internes, ne semble pas capable de supporter les charges sécuritaires et économiques d’un tel choix. En revanche, l’Érythrée, compte tenu de ses circonstances actuelles et de sa rhétorique défensive plutôt qu’offensive, ne semble pas encline à initier cette guerre.

Par conséquent, le cycle actuel de tension pourrait signaler un schéma que le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed utilise, employant une politique de bluff qui menace une chute mutuelle dans l’abîme du conflit armé, incitant des parties externes à développer et à accélérer des initiatives pour s’assurer qu’Addis-Abeba atteigne ses objectifs.

À la lumière de la menace imminente de conflit, la situation nécessite des efforts de médiation internationale et régionale urgents visant à traiter les causes profondes de la tension en cours, y compris la délimitation des frontières conformément à l’Accord d’Alger, des discussions sur les ambitions éthiopiennes d’accéder aux eaux internationales sans menacer la souveraineté érythréenne, et la promotion d’un soutien international pour bâtir des partenariats économiques entre les deux pays.

La résolution de ces questions, bien que difficile et nécessitant une coopération régionale et internationale, est primordiale pour éviter un conflit dévastateur qui modifierait les cartes régionales à un coût humain et économique significatif.

Références

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2- Abdelkader Mohamed Ali, Ethiopia’s Red Sea Port Claim: Motives, Backgrounds, and Repercussions, Al Jazeera Center for Studies, December 26, 2023, (accessed March 12, 2025), https://n9.cl/tyc87

3- Abdelkader Mohamed Ali, a movement in the Horn of Africa. Is the birth of an anti-Ethiopian coalition written?, Al Jazeera, January 13, 2024 (accessed March 15, 2025), https://n9.cl/78kl8 

4-Michael Woldemariam, Taking Ethiopia-Eritrea Tensions Seriously, United States Institute of Peace, 15 December 2023, (Accessed: 12 March 2025), https://n9.cl/98b0f

5- For more details on this agreement, see: Abdelkader Mohamed Ali: Cessation of Hostilities Agreement in Ethiopia: Gains, Gaps and Future Scenarios, Al Jazeera Center for Studies, November 27, 2022, (accessed March 12, 2025), https://n9.cl/syupzr

6- https://n9.cl/reicm

7. Mohamed Saleh Omar, Ethiopia and Eritrea. From the Coalition Trench to the Rivalry Square, Al Jazeera, March 7, 2025 (accessed March 12, 2025), https://n9.cl/zqt1z2   

8- Abdelkader Mohamed Ali, Agreement on Cessation of Hostilities in Ethiopia, op. cit.

9- Michael Woldemariam, Taking Ethiopia-Eritrea Tensions Seriously, ibid.

10- Abdelkader Mohamed Ali, From Alliance to Conflict: The Dynamics of the Amhara-Abiy Ahmed, Al Jazeera Center for Studies, 8 May 2024 (accessed 12 March 2025), https://n9.cl/8wofi

11- Ibid.

12. See, for example:

Mulatu teshome Wirtu, To avoid another conflict in the Horn of Africa, now is the time to act, Aljazeera, 17 February 2025, (Seen: 13 March 2025), https://n9.cl/bj6ikl

13- General Tsadkan G. Bayru, Tigray cannot be the battleground for Ethiopia and Eritrea, African Report, 10 March 2025, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/eg9nz

14- UMD Media, News Report: TPLF Faction Denies Alleged Secret Ties with Eritrea, 26 February2025, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/mew63e

15. https://n9.cl/reicm

16- General Tsadkan G. Bayru, Tigray cannot be the battleground for Ethiopia and Eritrea, Ibid.

17. The conflict has its roots in the Ethiopian-Eritrean war (1998-2000), which ended with the Algiers Agreement. The agreement granted areas including the disputed city of Badme to Eritrea, but Ethiopia initially refused to carry out the ruling, leading to protracted tensions. However, in 2018, Ethiopia’s prime minister, Abiy Ahmed, launched a peace process, promising to respect the agreement. This improved relations between the two countries, but the border was not demarcated in accordance with the Algiers Agreement until the Tigray war, which later changed all alliances.

18- Al Jazeera, African Union warns of grave situation in Ethiopia’s Tigray region, March 14, 2025 (accessed March 15, 2025), https://n9.cl/p1xar

19. https://n9.cl/reicm

20- It is remarkable that the Ethiopian Prime Minister linked the Renaissance Dam to the Red Sea, where Ahmed stressed that “the Red Sea and the Nile River are the basis for Ethiopia’s development or annihilation,” and that he is ready to “negotiate the benefit of the Red Sea as we negotiated the Renaissance Dam.”

Office of the prime Minister- Ethiopia, (18.11-18.30)

https://cutt.us/pmqqm

21- Abdul Qadir Muhammad Ali, with the decline of its international isolation. Is Eritrea on the cusp of political reform?, Al Jazeera, 19 May 2024 (accessed 15 March 2025), https://n9.cl/wfkx3

22- Ibid.

23- Aljazeera, Somalia, Eritrea and Egypt pledge to bolster security ties, 10 October 2024, (Accessed: 13 March 2025), https://n9.cl/ti525

24- Institute for the Study of War, Africa File, October 17, 2024: Egypt-Eritrea-Somalia Summit; Challenges with Tigray Peace Process, 17 October 2024, (Accessed: 13 March 2025), https://n9.cl/nsep9

25. It is notable here that the Ambassador of Ethiopia to Belgium, Luxembourg and the European Union, Groom Abbay, stated that “powerful countries believe that Ethiopia has the right to own a seaport”.

Radio IRENA, Ethiopia’s ambassador to the European Union, says the existence of Ethiopia’s port on the Red Sea is a matter of his country’s existence, October 4, 2023 (accessed: December 16, 2023), https://cutt.us/dPpnP

26- Aron Hagos, Brigade N’Hamedu: From Diaspora to Asmara, Martin Plaut, 5 February 2025, (Accessed: 14 March 2025), https://n9.cl/428qn

27- Ministry of Information of Eritrea, Ethiopian Airlines resumes flight to Asmara, Shabiat, 18 July 2018, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/lyjac

28- Addis Standard, Ethiopian Airlines ‘seeking clarification’ after Eritrea suspends flights effective Sept, 24 July 2024, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/g0y24q

29- Mulatu Teshome Wirtu, To avoid another conflict in the Horn of Africa, now is the time to act, Aljazeera,17 February 2025, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/bj6ikl

30- Ibid.

31. https://n9.cl/u4cmes

32- Ibid.

33- Aze.media, Azerbaijan issues note to Eritrea over detention of three ships, 8 January 2025, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/2orcqv

34- Mahmoud Abubakar, “Azeri arms ships spark ‘hidden crisis’ between Eritrea and Ethiopia,” Independent Arabic, February 11, 2025 (accessed March 15, 2025), https://n9.cl/1apmp

35- Lanfranchi, Guido and Dessalegen Gedebo, Amanuel, A dangerous frenemy: Averting a showdown between Eritrea and Ethiopia, Netherlands Institute of International Relations, March 2025, p 6.

36- Ibid.

37- Ibid.

38- Ibid.

39- Ibid.

40. Eritrean Foreign Minister Osman Saleh’s visit to the kingdom on 9 March 2025 is likely part of Riyadh’s diplomatic efforts between Eritrea and Ethiopia. See:

Ministry of Information of Eritrea, Minister Osman Saleh Delivers Message of President Isaias, Shabiat, 9 March 2025, (Accessed: 15 March 2025), https://n9.cl/v7aml

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