Se tourner vers l’Est: motivations et implications du rapprochement de la Tunisie avec l’Iran et la Chine

La Tunisie a adopté une politique étrangère pragmatique visant à renforcer ses relations avec plusieurs puissances régionales et internationales, dont l’Iran et la Chine, dans le but de développer ses partenariats existants à différents niveaux, notamment politique et économique.

Indicateurs clés :

Plusieurs indicateurs indiquent que le régime politique tunisien adopte une politique étrangère qui cherche à resserrer les liens politiques, économiques et sécuritaires avec certaines puissances régionales et internationales associées au bloc de l’Est. Les plus notables sont :

Visite de Saïd en Chine : Le président tunisien Kaïs Saïed a effectué une visite officielle en Chine du 30 mai au 5 juin 2024 pour participer à la 10e Conférence ministérielle du Forum de coopération sino-arabe. En janvier, Saied a rencontré le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi en Tunisie, où les deux hommes ont convenu de l’importance de renforcer les relations sino-tunisiennes dans divers domaines, notamment la politique, l’économie (agriculture, infrastructures, énergies renouvelables), la santé et le sport. En outre, en mai, le secrétaire général adjoint du Parti communiste chinois, Qiu Fengqi, s’est rendu en Tunisie. Plus tôt cette année, les deux pays ont célébré le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Tunisie et Pékin.

Exemption de visa pour les Iraniens : Le ministère tunisien des Affaires étrangères a pris la décision d’exempter les titulaires de passeports iraniens de l’obligation de visa pour entrer en Tunisie à partir du 15 juin 2024. Cette décision s’applique également aux détenteurs de passeports irakiens et a été prise après la visite du président Kais Saied en Iran pour présenter ses condoléances pour le décès du président iranien Ebrahim Raïssi. Au cours de cette visite, Saied a rencontré pour la première fois le Guide suprême de l’Iran, Ali Khamenei. Alors que l’Iran avait déjà exempté les Tunisiens de l’obligation de visa plus tôt en février, cette décision signale l’intention de la Tunisie de diversifier ses relations internationales au-delà des puissances occidentales. Avant la mort de Raïssi, les deux présidents avaient convenu d’organiser des visites d’État réciproques.

Objectifs spécifiques :

Le récent pivot de la Tunisie vers l’Est (Iran, Chine) vise à atteindre une série d’objectifs politiques et économiques, notamment :

Etablissement d’alliances stratégiques : La politique étrangère actuelle de la Tunisie vise à développer ses relations bilatérales dans divers secteurs avec des puissances régionales et mondiales influentes. Depuis 1990, la Tunisie et l’Iran ont formé un comité conjoint pour renforcer les intérêts mutuels, signant plus de 20 protocoles dans des domaines stratégiques. La Tunisie cherche également à signer des accords avec la Chine dans de multiples secteurs, dans le but de former des alliances stratégiques dans un avenir proche.

En renforçant ses relations bilatérales avec l’Iran et la Chine, la Tunisie espère obtenir plusieurs avantages économiques :

  • La Chine est le quatrième partenaire commercial de la Tunisie après la France, l’Italie et l’Allemagne, avec des échanges bilatéraux d’une valeur d’environ 6 milliards de dollars. La Tunisie vise à établir des partenariats économiques avec la Chine et à améliorer les relations commerciales, ayant signé des accords de coopération lors de la visite de Saied dans des domaines tels que le développement durable, la technologie et les infrastructures.
  • Certains analystes estiment que la visite de Saied en Chine n’a pas encore donné de résultats économiques significatifs, notamment en ce qui concerne le déficit commercial de la Tunisie avec la Chine, évalué à environ 2 milliards de dollars. Cependant, d’autres soutiennent que les accords existants et la participation de la Tunisie à l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » offrent des opportunités de gains économiques futurs.
  • La Tunisie espère également bénéficier économiquement de son rapprochement politique avec l’Iran, notamment en devenant une porte d’entrée pour les produits iraniens, y compris les véhicules électriques, vers les marchés africains. L’Iran cherche également à renforcer ses échanges commerciaux avec la Tunisie, qui s’élevaient à environ 12 milliards de dollars en 2017.

Contrer la pression occidentale sur la Tunisie : Le pivot de la Tunisie vers l’Est vise également à tirer parti de ces relations pour réduire la pression des pays occidentaux et des institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI). En cultivant des liens plus forts avec la Chine et l’Iran, la Tunisie espère renforcer sa position de négociation avec le FMI et réduire sa dépendance à l’égard de l’aide occidentale.

Principaux signaux politiques :

Le rapprochement croissant de la Tunisie avec l’Iran et la Chine a des implications politiques importantes, notamment :

Politique pragmatique : La politique étrangère de la Tunisie reflète une approche pragmatique, visant à maximiser les gains politiques et économiques tout en affirmant son indépendance vis-à-vis de l’ingérence étrangère. Cette position est particulièrement pertinente alors que le président Saied se prépare aux prochaines élections.

Diversification des partenaires : Le pivot oriental de la Tunisie témoigne de sa volonté de diversifier ses partenariats internationaux, notamment sur le plan économique, alors qu’elle cherche à rajeunir son économie fragile.

Manœuvres politiques : Le renforcement des relations de la Tunisie avec l’Iran et la Chine peut également être considéré comme un moyen de résister à la pression européenne, d’autant plus que la Tunisie est confrontée à des conditions de prêt strictes au FMI. Le refus de Saied de mettre en œuvre des mesures d’austérité, telles que la réduction des subventions gouvernementales et la réduction des salaires dans le secteur public, a tendu les relations avec l’Europe.

Briser l’isolement international : Le rapprochement de la Tunisie avec l’Iran pourrait également offrir à l’Iran un moyen d’atténuer son isolement international, alors qu’il fait face à des sanctions et à des relations tendues avec les pays occidentaux.

En résumé, le virage de la Tunisie vers l’Est traduit sa volonté de diversifier les partenariats, de nouer des alliances stratégiques et d’affirmer son indépendance dans sa politique étrangère, sans pour autant renoncer à ses liens de longue date avec les pays européens.

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SAKHRI Mohamed
SAKHRI Mohamed

Je suis titulaire d'une licence en sciences politiques et relations internationales et d'un Master en études sécuritaire international avec une passion pour le développement web. Au cours de mes études, j'ai acquis une solide compréhension des principaux concepts politiques, des théories en relations internationales, des théories sécuritaires et stratégiques, ainsi que des outils et des méthodes de recherche utilisés dans ces domaines.

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