Le débat s’intensifie actuellement en Iran sur les trajectoires possibles que pourraient suivre les négociations prévues entre l’Iran et les États-Unis au Sultanat d’Oman le 12 avril 2025. Ces négociations seront dirigées par le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araqchi, et l’envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff. Bien que ces discussions aient reçu un soutien clair de la part de nombreuses forces et institutions iraniennes – les considérant comme un moyen de sauver le pays, d’une part, des lourdes sanctions américaines, et d’autre part, d’éviter une guerre directe avec les États-Unis ou Israël (qui semblent prêtes à régler la crise autour du programme nucléaire iranien, soit par la négociation, soit par l’option militaire) – certaines forces, notamment celles issues du courant conservateur fondamentaliste, considèrent que ces pourparlers et le potentiel accord entre Téhéran et Washington menacent directement leurs intérêts. Cela les pousse donc à tenter de faire obstruction à ces négociations et à mener de virulentes campagnes contre elles.

Ces campagnes ont été particulièrement visibles dans la chronique « Dialogue » publiée par le journal Kayhan le 5 avril 2025, qui prédisait l’assassinat du président américain Donald Trump, qualifié de « meurtrier de Soleimani », par une balle dans la tête. Cet article a valu au journal un avertissement et une réprimande de la part de l’autorité de régulation de la presse, pour avoir publié des propos jugés contraires à l’intérêt national. Cet incident a également conduit certains journaux réformateurs à critiquer les tentatives des fondamentalistes de faire capoter les négociations. Ainsi, dans son édition du 8 avril 2025, le journal Arman Emrooz a estimé que les médias fondamentalistes et certaines figures du courant, comme le député ultraconservateur Hamid Rasaee, persistent à critiquer les pourparlers par crainte de leurs répercussions négatives sur leurs intérêts.

Plusieurs raisons

Le courant conservateur fondamentaliste tente de faire échouer les négociations entre l’Iran et les États-Unis pour plusieurs raisons principales :

1– La crainte d’un succès des réformateurs dans la conclusion d’un accord :
Les conservateurs estiment que si le gouvernement du président Massoud Pezeshkian parvient à conclure un accord avec les États-Unis, cela sera perçu comme une victoire du courant réformateur dans son ensemble. Ce succès pourrait élargir sa base populaire, d’autant plus que l’accord pourrait entraîner des retombées positives sur les conditions de vie dans le pays, notamment à travers la levée partielle des sanctions américaines, en particulier celles concernant les exportations de pétrole, les transactions bancaires via le système SWIFT, ainsi que le déblocage des avoirs iraniens gelés à l’étranger.

Il est significatif de noter que le courant fondamentaliste semble avoir cherché à inclure des figures conservatrices dans les négociations. Des rapports publiés le 5 avril 2025 ont ainsi évoqué une rencontre entre le président du Parlement Mohammad Bagher Ghalibaf et le Guide suprême Ali Khamenei, qui aurait approuvé l’ouverture de pourparlers directs avec les États-Unis, et la formation d’une délégation comprenant Ali Larijani (conseiller du Guide), le général du Corps des Gardiens de la Révolution Mohammad Forouzandeh, et l’ancien vice-président chargé des affaires stratégiques, Mohammad Javad Zarif. Cependant, le gouvernement de Pezeshkian a insisté pour souligner que c’est lui qui dirigera les négociations avec Washington. Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi a ainsi démenti ces informations, affirmant que le ministère des Affaires étrangères était seul responsable des discussions.

2– Le risque de modification des équilibres politiques internes en Iran :
Si les réformateurs réussissent à conclure un accord avec les États-Unis, cela pourrait modifier les équilibres politiques internes en Iran. Bien que les réformateurs aient remporté la présidence lors des élections anticipées tenues en deux tours les 28 juin et 5 juillet 2024, les fondamentalistes conservent toujours le contrôle de la majorité des institutions de pouvoir, comme le Parlement, le Conseil de discernement, le Conseil des gardiens de la Constitution, et l’Assemblée des experts.

Ainsi, les fondamentalistes craignent que le scénario des élections de 2016 ne se reproduise. À l’époque, après la signature de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 et la suspension des sanctions internationales le 16 janvier 2016, les réformateurs avaient remporté une victoire écrasante aux élections législatives et à celles de l’Assemblée des experts : ils avaient raflé les 30 sièges de Téhéran, et l’ancien président Hachemi Rafsandjani – considéré comme le mentor du courant réformateur – était arrivé en tête à Téhéran dans l’élection de l’Assemblée des experts.

3– Le renforcement de la capacité de Pezeshkian à faire passer de nouvelles lois :
Les fondamentalistes affichent une vive inquiétude quant aux efforts du président Pezeshkian pour faire adopter certaines lois dans les institutions qu’ils contrôlent, avec le soutien du Guide suprême, ou pour retarder l’application d’autres lois imposant des restrictions aux libertés sociales. Pezeshkian a ainsi réussi à lever l’assignation à résidence de l’ancien président du Parlement, Mehdi Karroubi, le 17 mars 2025, mesure qui était en place depuis février 2011. Il a également suspendu l’application de la loi sur le « hijab et la pudeur », qui imposait des mesures strictes concernant l’habillement des femmes, et il a exercé des pressions pour abolir la « police des mœurs », responsable des grandes manifestations qui ont secoué l’Iran en septembre 2022.

De leur point de vue, si le gouvernement Pezeshkian parvient à conclure un accord avec les États-Unis, cela renforcerait considérablement sa capacité à faire adopter de nouveaux projets de lois allant à l’encontre des intérêts des fondamentalistes, avec l’aval du Guide suprême.

4– Empêcher les réformateurs de participer au processus de succession du Guide :
Les conservateurs fondamentalistes, avec le soutien des Gardiens de la Révolution, veulent exclure les réformateurs du processus de sélection du prochain Guide suprême après la disparition d’Ali Khamenei. Ils considèrent qu’il s’agit d’une garantie pour désigner un successeur d’orientation fondamentaliste stricte, ce qui renforcerait leur emprise sur les centres de décision du régime. Cependant, un succès du gouvernement dans la conclusion d’un nouvel accord avec les États-Unis ouvrirait la voie à une participation accrue des réformateurs dans ce processus, et pourrait favoriser la désignation d’une figure aux orientations plus modérées pour occuper le poste le plus important du régime.

Un facteur décisif

En conclusion, on peut dire que le courant conservateur fondamentaliste va continuer à faire pression pour faire échouer la conclusion d’un nouvel accord avec les États-Unis. Un facteur déterminant pour évaluer leur capacité à y parvenir résidera dans la nature des prochaines négociations : si celles-ci se limitent au dossier nucléaire, les chances de succès augmenteront, réduisant d’autant les capacités d’obstruction des fondamentalistes. En revanche, si les États-Unis insistent pour élargir les pourparlers aux questions du programme balistique et de l’influence régionale de l’Iran, cela offrirait une opportunité en or pour les conservateurs fondamentalistes de relancer leur campagne de sabotage contre l’accord potentiel.

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