Récemment, les relations entre la Russie et les Talibans ont évolué, Moscou voyant un potentiel d’établissement de relations plus ouvertes qui profiteraient aux deux parties, malgré la position hostile qui prévalait depuis 2003, lorsque Moscou a désigné le groupe comme organisation terroriste. Ce changement a commencé ces dernières années et s’est récemment manifesté par une meilleure compréhension et coopération avec les Talibans.
Levée de l’interdiction :
La relation de la Russie avec les Talibans a connu des développements notables récemment, qui peuvent être résumés comme suit :
Retrait des Talibans de la liste des organisations terroristes : Le 17 avril 2025, la Cour suprême de Russie a décidé de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes du pays et a levé l’interdiction de ses activités. Cette décision est intervenue après plus de deux décennies pendant lesquelles Moscou classait le groupe en tant qu’organisation terroriste. Elle était basée sur un décret émis par le président russe Vladimir Poutine en 2024, qui permettait la possibilité de suspendre la désignation des Talibans en tant qu’organisation terroriste, ouvrant la voie à leur retrait de la liste.
Il convient de noter qu’il n’existe actuellement aucun pays qui reconnaisse le gouvernement taliban, qui détient le pouvoir à Kaboul depuis août 2021, à la suite d’un retrait chaotique des forces internationales menées par les États-Unis après près de 20 ans de présence. Bien que la Russie s’aligne avec la position internationale concernant le gouvernement taliban, Moscou a montré des indicateurs significatifs de restructuration de sa position envers les autorités de Kaboul. En juillet 2024, le président Poutine a déclaré que les Talibans étaient devenus un allié clé de Moscou dans la lutte contre le terrorisme.
Aspirations de Moscou à améliorer la coopération avec les Talibans : Le ministère russe des Affaires étrangères a annoncé que Moscou cherche actuellement à renforcer des relations mutuellement bénéfiques avec l’Afghanistan dans tous les domaines, y compris la lutte contre le terrorisme et l’amélioration de la coopération commerciale et d’investissement avec Kaboul, surtout étant donné la position stratégique de l’Afghanistan dans les futurs projets énergétiques et d’infrastructure.
Dans ce contexte, l’envoyé spécial du président russe en Afghanistan, Zamir Kabulov, a déclaré que la décision de la cour russe de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes vise à supprimer les obstacles juridiques aux relations politiques et économiques complètes entre les deux pays.
Accueillir le gouvernement taliban : Le ministère afghan des Affaires étrangères, dirigé par le gouvernement taliban, a publié une déclaration accueillant la décision de la Russie de retirer le groupe de la liste des organisations terroristes, indiquant que cette étape représenterait un avancement significatif dans l’amélioration des relations politiques et économiques entre les deux pays.
Motivations communes :
Le rapprochement actuel entre la Russie et les Talibans reflète une série de motivations communes indiquant des intérêts entrelacés pour les deux parties, qui peuvent être résumés comme suit :
Coopération en matière de lutte contre le terrorisme : La Russie considère qu’il est d’une grande importance d’améliorer sa coopération avec les Talibans dans les efforts de lutte contre le terrorisme, particulièrement face aux menaces sécuritaires que Moscou rencontre de la part de groupes armés basés dans divers pays, y compris l’Afghanistan. En mars 2024, Moscou a été victime d’une attaque terroriste dans une salle de concert, revendiquée par l’État islamique, tandis que certains rapports américains ont révélé que la branche afghane de l’État islamique (ISIS-Khorasan) était responsable de cette attaque.
Dans ce contexte, certaines estimations indiquent que les Talibans cherchent à renforcer leur coopération avec la Russie pour contenir l’influence de l’État islamique en Afghanistan, représentée par sa branche « ISIS-Khorasan », un objectif mutuel tant pour le mouvement que pour la Russie, surtout après que le groupe a mené plusieurs attaques terroristes en Russie.
Efforts des Talibans pour mettre fin à leur isolement international : Les Talibans visent à mettre fin à leur isolement international suite à leur prise de pouvoir en Afghanistan en 2021. Le mouvement mène une campagne diplomatique pour améliorer ses relations régionales et internationales. Le rapprochement actuel entre la Russie et le groupe s’inscrit dans les tentatives des Talibans de mettre fin à leur isolement et d’obtenir une légitimité internationale. Le gouvernement taliban estime que le retrait du nom du groupe de la liste nationale des organisations terroristes de la Russie pourrait encourager plusieurs autres pays à prendre des mesures similaires, menant potentiellement à la levée des sanctions internationales imposées à l’Afghanistan et au déblocage de ses avoirs gelés.
Intérêts économiques russes à Kaboul : La décision de la Russie de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes est liée aux intérêts économiques mutuels qui unissent Moscou et Kaboul. À cet égard, la Russie a été le premier pays à ouvrir un bureau de représentation commerciale à Kaboul après la prise de contrôle des Talibans en août 2021. De plus, la Russie a exprimé son intérêt d’utiliser l’Afghanistan comme plaque tournante pour le gaz russe à destination de l’Asie du Sud-Est. Les intérêts économiques russes en Afghanistan sont également liés au désir de Moscou de tirer parti de minéraux stratégiquement importants trouvés à Kaboul, qui ne peuvent être investis sans rapprochement avec les Talibans. La Russie s’intéresse également à des projets d’infrastructure ambitieux en Afghanistan, tels que le gazoduc « Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde » et le chemin de fer transfrontalier reliant l’Ouzbékistan et le Pakistan.
Dans le contexte des sanctions occidentales imposées à la Russie, Moscou cherche à s’ouvrir davantage à d’autres pays, l’Afghanistan pouvant devenir l’une des alternatives. Cela se reflète dans l’augmentation significative du commerce bilatéral entre les deux pays au cours de l’année 2023, où les volumes commerciaux ont été multipliés par cinq par rapport à l’année précédente, dépassant un milliard de dollars, avec des attentes d’augmentations encore plus importantes dans un avenir proche.
Renforcement de l’influence russe en Asie centrale : Alors que la Russie vise à renforcer son influence en Asie centrale, en particulier dans un contexte de concurrence internationale croissante dans cette région vitale, elle semble considérer l’Afghanistan comme un acteur clé du paysage géopolitique régional. Moscou cherche à prendre des mesures proactives envers le gouvernement taliban pour améliorer la coopération et la présence russe là-bas, surtout à la lumière des échanges croissants entre la Chine et les Talibans, en particulier en matière d’infrastructure et d’investissements liés à l’Initiative de la Ceinture et de la Route. Au cours des derniers mois, on a également noté une augmentation des communications entre les Talibans et les États-Unis, sous la présidence actuelle des États-Unis.
Remplir le vide géopolitique en Afghanistan : De nombreux rapports occidentaux s’attendent à ce que les actions actuelles de la Russie envers les Talibans s’inscrivent dans le cadre d’une politique étrangère russe et chinoise plus large visant à combler le vide géopolitique créé par le retrait de l’Occident d’Afghanistan à la fin de 2021. Moscou semble chercher à attirer les Talibans dans une alliance anti-occidentale, ce qui est en accord avec la propagande russe concernant l’échec des États-Unis et de l’Occident en Afghanistan.
Implications importantes :
La décision de la Russie de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes reflète des implications significatives, qui peuvent être résumées comme suit :
Changements notables dans la position russe : La récente décision russe de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes indique un changement marqué dans la position de Moscou envers le groupe. Auparavant, la Russie avait soutenu financièrement et militairement les combattants tchétchènes contre la Russie pendant la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2009) et avait reconnu le gouvernement tchétchène dirigé par Aslan Maskhadov. Après que la coalition internationale menée par les États-Unis ait renversé le gouvernement taliban, qui avait régné sur la majeure partie de l’Afghanistan de 1996 jusqu’à la fin de 2001, et suite au déploiement de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) pour soutenir le nouveau gouvernement afghan, les Talibans ont recherché le soutien de Moscou, qui l’a refusé, classifiant ensuite le groupe comme organisation terroriste en 2003.
Cependant, à partir de 2015, la Russie a commencé à ouvrir des canaux de communication avec les Talibans. Malgré le classement du groupe comme organisation terroriste, des représentants talibans ont visité Moscou et Saint-Pétersbourg à plusieurs reprises, notamment lorsqu’une délégation des Talibans a assisté au Forum économique international de Saint-Pétersbourg en 2022, malgré une loi russe imposant l’arrestation de tout membre taliban entrant en Russie, avec des peines potentielles allant jusqu’à 20 ans de prison pour engagement dans des activités terroristes. En 2024, le président Vladimir Poutine a signé le décret qui a ouvert la voie au retrait des Talibans de la liste des organisations terroristes.
Lever l’interdiction ne signifie pas reconnaissance du gouvernement taliban : Bien que la décision de Moscou de suspendre l’interdiction des activités des Talibans et de les retirer de la liste des organisations terroristes soit significative, cette décision n’implique pas que la Russie reconnaisse le gouvernement taliban, même si cette possibilité ne peut être exclue dans un avenir proche. Cependant, le retrait des Talibans de la liste des terroristes pourrait être suffisant dans un avenir prévisible pour améliorer les relations entre Moscou et le gouvernement taliban à Kaboul.
Permettre à la Russie de conclure des accords globaux avec l’Afghanistan : La décision de la Cour suprême de Russie ouvrira la voie à des accords globaux entre la Russie et l’Afghanistan dans un avenir proche, car le droit pénal russe prévoit des sanctions strictes pour la coopération avec des organisations classées comme terroristes. Bien que plusieurs contrats concernant la fourniture de produits pétroliers et de blé aient été signés entre les deux parties en 2024, ces accords semblent avoir été établis par l’intermédiaire de structures commerciales sans l’implication de représentants talibans. Par conséquent, on s’attend à ce que la décision de la Cour suprême russe mène à la conclusion d’accords supplémentaires entre les deux parties sans aucune répercussion criminelle.
Cohérence avec les transformations régionales actuelles concernant les Talibans : Bien qu’aucun État ne reconnaisse le gouvernement taliban comme gouvernement légitime en Afghanistan, le groupe a récemment obtenu une certaine reconnaissance indirecte. La Chine a accepté l’ambassadeur désigné par le gouvernement taliban et est devenue le premier pays à nommer un nouvel ambassadeur à Kaboul en 2023. Le Kazakhstan et le Kirghizistan ont également retiré les Talibans de leurs listes nationales d’organisations terroristes, ce qui est un indicateur significatif de certains changements régionaux concernant les Talibans.
Implications potentielles :
La décision de la Cour suprême de Russie de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes pourrait entraîner plusieurs implications importantes concernant l’avenir des relations entre Moscou et les Talibans, qui peuvent être résumées comme suit :
Renforcement de la coopération entre Moscou et le gouvernement taliban : La décision de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes devrait constituer un pas significatif pour améliorer les relations bilatérales entre Moscou et le gouvernement taliban dans un avenir proche. Les Talibans cherchent à élever leur relation avec la Russie à un nouveau niveau de partenariat et à assouplir les restrictions sur les visas. Sur le plan économique, on prévoit que les investissements russes en Afghanistan augmenteront dans les périodes à venir, tout comme les échanges commerciaux, ce qui s’est déjà traduit par une augmentation de 52 % des exportations de gaz naturel liquéfié russes vers l’Afghanistan en janvier et février 2025, avec des prévisions d’augmentations supplémentaires des approvisionnements en Afghanistan dans les années à venir.
Reconnaissance possible par la Russie du gouvernement taliban : Bien que la Russie n’ait pas encore reconnu le gouvernement taliban, certaines estimations ne excluent pas que la décision de Moscou de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes puisse ouvrir la voie à un élargissement de la coopération et éventuellement à la reconnaissance par la Russie du gouvernement taliban dans un avenir proche.
Cette perspective s’aligne avec certains rapports allemands indiquant que l’initiative russe récente reflète une sorte de « tactique graduelle » employée par le Kremlin pour approcher la reconnaissance formelle du gouvernement taliban par petites étapes. Ainsi, la prochaine étape après le retrait des Talibans de la liste des organisations terroristes devrait être leur reconnaissance formelle en tant qu’autorité légitime en Afghanistan.
Intégration de l’Afghanistan dans l’espace eurasien : Dans ses efforts pour renforcer sa présence géopolitique et économique en Asie centrale, la Russie pourrait chercher à s’appuyer sur ses alliances existantes dans la région, telles que l’« Organisation du Traité de sécurité collective » et l « Union économique eurasienne », pour intégrer l’Afghanistan dans l’espace eurasien. Cela est en effet défini dans le plan de politique étrangère de la Russie pour 2023.
Dans ce contexte, l’Afghanistan possède une importance géostratégique et sécuritaire significative pour la Russie, ce qui pourrait expliquer le changement actuel dans les politiques du Kremlin envers les Talibans. Les intérêts géopolitiques et géoéconomiques ont poussé Moscou à renforcer ses relations avec les Talibans, qui détiennent le pouvoir à Kaboul, afin de sécuriser ses divers intérêts en Afghanistan et dans le contexte régional plus large de l’Asie centrale. La décision de retirer les Talibans de la liste des organisations terroristes de la Russie devrait, dans un avenir proche, améliorer la coopération et le partenariat entre Moscou et le gouvernement taliban, sans écarter la possibilité que la Russie reconnaisse la légitimité du gouvernement taliban dans un avenir prévisible.

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