Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche marque un tournant décisif dans le paysage géopolitique et géo-économique mondial, avec des implications profondes pour les relations internationales, en particulier entre l’Europe et la Chine. Au cours de son premier mandat, ses politiques ont intensifié les tensions entre les États-Unis et la Chine, redéfinissant les flux commerciaux et d’investissement mondiaux, tout en exerçant une pression intense sur les décideurs européens pour qu’ils s’alignent sur la stratégie américaine vis-à-vis de Pékin.
Alors que Trump entame un second mandat, l’Europe fait face à un défi plus important pour équilibrer son autonomie stratégique et ses liens économiques avec la Chine, son deuxième partenaire commercial, face à son alliance traditionnelle avec les États-Unis. Les répercussions pour l’Europe pourraient être considérables, comprenant une baisse des exportations vers les États-Unis, une augmentation des importations chinoises, et une incertitude économique croissante. Ce contexte soulève des questions critiques : comment les politiques de Trump influenceront-elles l’avenir des relations euro-chinoises ? L’escalade américaine poussera-t-elle l’Europe à se rapprocher de Pékin ? Dans quelle mesure l’Europe peut-elle atteindre une indépendance stratégique sous la pression américaine croissante ? Quelles sont les scénarios possibles qui pourraient façonner les relations tripartites entre Washington, Bruxelles et Pékin ?
Cet article vise à analyser les variables économiques et géopolitiques régissant les relations euro-chinoises sous la présidence de Trump, tout en explorant les scénarios futurs pour cet engagement, en tenant compte des défis provenant de la pression américaine accrue, des différences idéologiques et des disparités stratégiques entre les parties.
Contexte et contexte historique
Cette année marque le cinquantième anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et l’Union européenne, une relation qui a connu un développement significatif grâce à des efforts conjoints pour élargir les domaines de coopération et renforcer la compréhension mutuelle. Malgré les enjeux, cette relation a continué sur la voie d’une coopération pacifique fondée sur des intérêts communs. La Chine est devenue la deuxième plus grande économie mondiale, bénéficiant indirectement du rôle de l’UE dans le soutien à cette trajectoire à travers des échanges technologiques et l’ouverture de marchés. En retour, l’UE a profité du vaste marché chinois, renforçant ainsi les liens commerciaux et d’investissement, et menant à une intégration économique qui a fait de leur relation un élément clé de l’économie mondiale.
Cette coopération repose sur trois piliers principaux : d’abord, le consensus politique résultant de l’absence de conflits géopolitiques directs entre les deux parties ; ensuite, la coopération économique basée sur le bénéfice mutuel, qui constitue le principal moteur de la durabilité de la relation ; et enfin, une approche de “s’entendre sur les désaccords”, permettant aux deux parties de naviguer à travers leurs différences idéologiques sans compromettre leur partenariat.
Cependant, malgré ces bases solides, les relations euro-chinoises font face aujourd’hui à des défis sans précédent en raison des changements dans l’équilibre des pouvoirs mondial et des transformations du système international. Les politiques d’endiguement unilatéral adoptées par les États-Unis vis-à-vis de la Chine, en plus de la guerre en Ukraine, ont poussé l’UE à adopter une perspective plus géopolitique, comme en témoigne les politiques visant à “réduire les risques” et à diminuer la dépendance vis-à-vis de la Chine, entraînant une politisation des relations économiques et favorisant une incertitude dans le milieu des affaires.
Les développements récents pourraient cependant ouvrir une nouvelle voie pour le rapprochement sino-européen. Avec le retour de Trump à la présidence et sa montée en puissance d’une approche agressive vis-à-vis de la Chine et de l’UE, Bruxelles et Pékin pourraient se retrouver confrontés à des défis communs nécessitant une réévaluation de leurs options stratégiques. Trump, percevant la Chine comme un adversaire stratégique et l’UE comme un concurrent économique, pourrait restaurer des tarifs douaniers stricts et des sanctions économiques contre les deux parties, poussant ainsi l’Europe à reconsidérer son engagement envers les politiques américaines.
Dans ce contexte, la Chine pourrait devenir un partenaire plus attrayant pour l’UE, surtout si la pression croissante des États-Unis menace les intérêts économiques européens. Alors que l’Europe s’efforce d’atteindre un “indépendance stratégique”, la coordination avec la Chine pourrait lui offrir un plus grand espace de manœuvre, notamment dans le besoin de marchés alternatifs et d’investissements nouveaux pour compenser toute perte causée par une éventuelle escalade avec Washington.
Facteurs incitatifs à la convergence sino-européenne
Divers facteurs stratégiques et économiques poussent à un rapprochement sino-européen, la Chine cherchant à renforcer sa présence sur les marchés européens à travers l’initiative de la Route de la soie, tandis que l’Europe recherche un équilibre dans ses relations internationales et une réduction de sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, dans un contexte de défis commerciaux, technologiques et sécuritaires croissants redéfinissant le paysage géopolitique mondial. Voici les principaux facteurs qui pourraient inciter les deux parties à converger davantage :
Politiques protectionnistes Les politiques protectionnistes adoptées par le président américain Donald Trump constituent une source d’inquiétude majeure tant pour l’Europe que pour la Chine, ayant engendré, lors de son premier mandat, une escalade des tensions commerciales, et suscitant des craintes réelles quant à la possibilité d’un nouvel affrontement sur l’économie mondiale. Trump a exprimé son intention d’imposer de nouveaux droits de douane sur les marchandises en provenance de l’UE, justifiant cela par ce qu’il qualifie de pratiques commerciales “injustes” de l’UE à l’égard des États-Unis. Bien qu’il n’ait pas précisé quels droits seraient appliqués ou quels produits seraient concernés, il a affirmé son intention d’imposer des taxes “importantes”. Il a également menacé de prendre des mesures similaires si l’UE ne devait pas acheter davantage de pétrole et de gaz américains. À noter que durant son premier mandat, Trump avait imposé des droits de douane de 25 % sur les produits européens et de 10 % sur l’aluminium en provenance d’Europe, ce qui a conduit à une guerre commerciale, lors de laquelle l’UE a imposé des droits de douane sur des produits américains tels que des motos et du denim, pour un montant de 6 milliards de dollars.
Trump a également imposé des droits de douane de 10 % sur les marchandises en provenance de Chine. Pékin a alors réagi par des mesures de rétorsion, incluant des droits de douane sur des produits américains clés ; par exemple, un droit de 15 % sur le charbon et le gaz naturel liquéfié, et de 10 % sur le pétrole brut, les engins agricoles et les voitures de grande taille. La Chine a également imposé des restrictions sur l’exportation de métaux rares utilisés dans les industries technologiques et militaires, et a ouvert des enquêtes antitrust contre des entreprises américaines comme Google, tout en plaçant certaines entreprises américaines sur sa “liste d’entités non fiables”. La Chine craint les impacts négatifs sur son économie résultant d’une baisse des exportations vers les États-Unis et de l’effet de réciprocité sur les chaînes d’approvisionnement technologiques. Elle s’inquiète également de l’escalade des tensions politiques et diplomatiques, particulièrement avec la continuité des hausses tarifaires faites par Trump et ses menaces pesant sur d’autres pays. De plus, la rupture du mécanisme de règlement des différends à l’Organisation mondiale du commerce limite ses options pour obtenir des jugements en sa faveur contre les États-Unis.
Tensions transatlantiques Les relations entre les États-Unis et l’Europe ont connu des tensions durant le premier mandat de Trump, notamment en ce qui concerne des enjeux liés à l’OTAN, l’accord nucléaire iranien, et bien sûr les droits de douane, comme mentionné précédemment. Ces tensions devraient s’intensifier lors de son second mandat, notamment en ce qui concerne les menaces sécuritaires, Trump cherchant à exploiter les conséquences de la guerre en Ukraine pour pousser les pays européens à accroître leurs dépenses de défense, dépassant même les exigences qu’il avait formulées au cours de son premier mandat. Cela constitue un défi fondamental pour les relations transatlantiques, surtout dans l’un de leurs piliers centraux : la sécurité partagée.
De plus, les déclarations répétées de Trump sur le “profit” que l’Europe tire des États-Unis dans le cadre de l’OTAN ont accru les inquiétudes en Europe concernant l’engagement de Washington envers la sécurité européenne.
Le discours du vice-président américain, JD Vance, au forum de sécurité de Munich le 14 février 2025, a suscité une large controverse, semblant représenter un changement radical dans les relations transatlantiques entre les États-Unis et l’Europe. Au lieu de se concentrer sur les enjeux que l’Europe s’attendait à voir soulevés, comme les dépenses de défense européenne et l’avenir du conflit en Ukraine, Vance a critiqué les politiques internes de l’UE, suggérant que la plus grande menace pour l’Europe ne provient pas de la Russie ou de la Chine, mais des menaces internes.
Ce discours n’a pas été un événement isolé, mais s’inscrit dans une série de changements dans la politique américaine envers l’Europe. Le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, a précédemment signalé que l’Europe ne pouvait plus compter sur la protection américaine, affirmant que Washington ne supporterait plus le fardeau financier de la garantie de la sécurité du continent.
Simultanément, le président Trump a engagé des conversations directes avec le président russe Vladimir Poutine, où il a semblé céder à toutes les demandes de Moscou concernant l’Ukraine, y compris la garantie d’une non-adhésion à l’OTAN et l’absence de déploiement de forces américaines sur place.
Ce changement affaiblit la position de l’Europe et la place dans une situation difficile, car elle doit traiter avec la Russie sans un soutien américain solide. L’on comprend alors que l’administration Trump adopte une approche qui paraît “impérialiste” dans ses relations avec les alliés européens, s’attendant à ce qu’ils assument des coûts sans leur accorder un levier politique équivalent.
Sous ces pressions, certains pays européens pourraient se retrouver contraints de réévaluer leurs relations avec la Chine, qui se présente comme une alternative économique et politique forte capable de soutenir la stabilité européenne loin des pressions américaines. Les liens économiques croissants entre l’Europe et la Chine, notamment dans les domaines de la technologie, du commerce et des investissements dans l’infrastructure, pourraient renforcer ce rapprochement. Cela pourrait conduire à une expansion de la coopération euro-chinoise dans des domaines tels que le commerce libre, le développement de réseaux d’énergie renouvelable et les technologies avancées, ce qui pourrait redéfinir les dynamiques de pouvoir international et offrir à l’Europe un plus grand degré d’autonomie par rapport aux politiques américaines.
Transformations dans le système mondial Sous la deuxième administration de Donald Trump, le système mondial fait face à la perspective de changements radicaux qui pourraient renforcer le rapprochement sino-européen. Sur la base des orientations précédentes de Trump et de son bilan en politique étrangère, ainsi que de ses déclarations et politiques depuis le début de son second mandat, Washington sous Trump semble de nouveau s’orienter vers une approche unilatérale, caractérisée par le déclin des organisations internationales, la préférence pour des accords bilatéraux plutôt que multilatéraux, et l’imposition de politiques protectionnistes renforcées. Cette orientation pourrait raviver les querelles entre les États-Unis et l’Europe, notamment sur les enjeux économiques et sécuritaires, poussant ainsi les pays européens à rechercher des partenaires stratégiques alternatifs pour préserver leurs intérêts économiques et géopolitiques.
Si Trump réimpose des droits de douane sur les produits européens, comme il en a clairement signifié son intention, ou menace de retirer les troupes américaines d’Europe et de réduire l’engagement de Washington auprès de l’OTAN, les pays européens pourraient être contraints de renforcer leur coopération avec la Chine, que ce soit dans les domaines de l’investissement, de la technologie ou des secteurs de sécurité non conventionnelle.
En revanche, la Chine cherche à établir un système international multipolaire qui renforce son rôle en tant qu’acteur clé sur la scène politique et économique mondiale, une direction qui s’aligne avec les aspirations de certains pays européens cherchant à réduire leur dépendance envers les États-Unis. Si Trump maintient ses politiques nationalistes et populistes, il est probable que l’Europe se tourne davantage vers la Chine comme moyen de préserver l’équilibre de ses relations internationales et d’assurer sa stabilité économique.
Avec le retrait prévu des États-Unis des enjeux climatiques, la Chine et l’Europe sont probablement amenées à continuer de diriger les efforts globaux pour combattre le changement climatique. Les deux considèrent la durabilité environnementale comme une priorité stratégique, la Chine s’efforçant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060, tandis que l’UE vise le même objectif d’ici 2050 grâce à des initiatives telles que le Green Deal européen.
L’accord sur l’importance d’investir dans des énergies propres et de réduire la dépendance aux combustibles fossiles crée un terreau fertile pour promouvoir la coopération en matière de technologies vertes, notamment le stockage d’énergie, l’hydrogène vert et les innovations visant à réduire les émissions. Dans le cadre des efforts visant à soutenir l’industrie des combustibles fossiles, il est attendu que la Chine et l’Europe renforcent leur partenariat dans le secteur des énergies renouvelables en tant que moyen de résister aux politiques américaines qui pourraient ignorer les enjeux environnementaux.
En outre, la hausse des prix des énergies conventionnelles due à d’éventuelles crises géopolitiques futures pourrait inciter l’Europe à élargir sa coopération avec la Chine pour renforcer sa sécurité énergétique, faisant de Pékin un partenaire essentiel dans les projets de transition énergétique européens.
La coopération sino-européenne dans le secteur de l’énergie propre ne se limite pas seulement à l’échange de technologies, mais s’étend également au commerce et à l’investissement. On pourrait s’attendre à une augmentation des investissements chinois dans des projets d’énergie verte sur les marchés européens, tandis que les entreprises européennes pourraient tirer parti des capacités de production chinoises pour produire des technologies à faible coût soutenant la transition verte en Europe.
À titre d’exemple, ces dernières années, la Chine a commencé à exporter des batteries au lithium avancées vers l’Europe, et des entreprises chinoises ont investi dans la création d’usines de fabrication de véhicules électriques en Europe pour répondre à la demande croissante en matière de transport durable. Alors que l’Europe poursuit son objectif de supprimer les véhicules fonctionnant au carburant fossile d’ici 2035, sa dépendance à l’égard de la Chine dans ce secteur devrait augmenter.
Obstacles au rapprochement sino-européen
Malgré les nombreuses opportunités de coopération, le rapprochement sino-européen est confronté à un ensemble complexe de défis qui reflètent les divergences stratégiques, économiques et politiques entre les deux parties. Bien que des intérêts communs existent dans des domaines tels que le commerce, l’investissement et la technologie, des désaccords sur diverses questions—y compris les droits de l’homme, les pratiques commerciales déloyales, la concurrence géopolitique, et les relations européennes avec les États-Unis—constituent des barrières majeures à l’approfondissement des liens bilatéraux. En outre, les enjeux liés à la sécurité des chaînes d’approvisionnement, l’interdépendance dans des secteurs critiques, et les tensions dans la région indopacifique ajoutent une complexité supplémentaire à cette relation, rendant le chemin de la coopération semé d’embûches. Voici les principaux obstacles et défis à l’approfondissement du rapprochement :
Différences concernant les normes économiques et sociales Les normes économiques et sociales sont l’une des principales sources de tension entre la Chine et l’UE, l’UE s’appuyant sur un modèle d’économie de marché ouverte, ancré dans les principes de transparence, de gouvernance, de protection des droits de l’homme et de l’environnement. Ces normes sont le fondement des politiques européennes, contribuant à créer un cadre réglementaire précis visant à garantir la stabilité des relations commerciales et d’investissement à long terme sur un marché ouvert. En revanche, le modèle chinois privilégie une approche basée sur l’intervention de l’État pour réaliser une croissance économique rapide, ce qui conduit à des variations dans l’application des normes de gouvernance et de transparence dans les pratiques économiques et sociales. Ce contraste se manifeste à différents niveaux, notamment des divergences dans les politiques relatives à la protection de la propriété intellectuelle et au transfert de technologie. Tandis que l’UE attache une importance cruciale à l’application de normes strictes garantissant la protection des droits des inventeurs et des entreprises, la Chine pourrait opter pour des politiques plus flexibles axées sur l’accélération de la croissance économique, même au détriment de certaines normes. Les divergences se reflètent également dans les politiques sociales, l’UE soulignant les droits des travailleurs et la protection de l’environnement comme étant indissociables des normes de production et de commerce, tandis que la Chine privilégie le développement économique et la stabilité sociale, entraînant ainsi des contradictions dans les politiques économiques adoptées par les deux parties.
À cela s’ajoutent les différences dans l’application des lois et des régulations, l’UE ayant récemment imposé des restrictions sur certains produits chinois en raison de préoccupations concernant des violations des “droits de l’homme”, comme celles concernant le travail des Ouïghours dans la région du Xinjiang. La Chine considère ces mesures comme une ingérence dans ses affaires internes, exacerbant ainsi les tensions entre les deux parties et rendant difficile l’atteinte d’un consensus sur des normes économiques et sociales. Dans le contexte de la nouvelle administration Trump, ces désaccords pourraient encore s’accentuer, car les États-Unis pourraient utiliser ces disparités comme arme pour justifier leurs politiques commerciales, compliquant ainsi le processus de négociation entre l’UE et Pékin.
Pressions liées aux relations américano-atlantiques Les politiques étrangères américaines jouent un rôle central dans la formulation des positions de l’UE à l’égard de la Chine, surtout sous la nouvelle administration Trump. Le gouvernement américain utilise des instruments de politique commerciale, tels que l’imposition de droits de douane, comme moyens de négociation, comme l’attestent les expériences passées durant son premier mandat. Trump a imposé des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium en provenance de l’UE, engendrant des réactions commerciales réciproques qui ont affecté les échanges commerciaux, créant une incertitude au niveau international.
Les pressions exercées par les relations américano-atlantiques se manifestent de plusieurs manières. D’une part, l’UE est confrontée à des demandes croissantes de convergence avec les politiques américaines en matière de commerce et d’économie, Trump ayant menacé d’imposer des droits de douane sur une variété de produits européens pour obliger ses partenaires à céder sur certaines demandes dans le cadre des négociations commerciales, plaçant ainsi l’UE dans une position où elle doit adapter sa position en fonction des intérêts américains, notamment en ce qui concerne des questions comme les importations de GNL ou d’automobiles.
D’autre part, les politiques américaines s’étendent également aux domaines technique et sécuritaire, l’administration Trump encourageant ses alliés à imposer des restrictions sur l’utilisation de certaines technologies et équipements chinois, en particulier dans le domaine des réseaux 5G. Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à limiter l’influence de la Chine sur les marchés mondiaux, ce qui affecte, en retour, les positions des États européens, qui varient selon les pays ; certains adoptent une approche plus indépendante, tandis que d’autres alignent davantage leurs positions sur celles des États-Unis.
Les divisions internes au sein de l’UE concernant ces pressions représentent un autre défi, car les divergences de positions nationales compliquent la capacité de l’UE à réagir de manière unifiée aux politiques américaines. Alors que des pays comme l’Allemagne et la France soutiennent une approche plus autonome qui cherche à préserver leurs relations économiques avec la Chine, des États d’Europe de l’Est adoptent des positions plus alignées sur les politiques américaines, augmentant ainsi la complexité de l’élaboration d’une position commune. Cette variation interne accroît les pressions que l’UE subit face à l’évolution des politiques étrangères américaines.
Divergence des intérêts géopolitiques La divergence des intérêts géopolitiques entre la Chine et l’UE constitue une dimension importante qui complique les relations entre les deux parties. Bien que la Chine ne soit généralement pas classée comme un adversaire stratégique direct de l’UE, il existe une préoccupation croissante concernant l’influence chinoise dans des régions considérées comme stratégiquement importantes, telles que l’Afrique, l’Asie centrale et la région des Balkans. L’initiative de la Route de la soie lancée par la Chine en 2013 renforce son influence régionale et mondiale en visant à investir dans les infrastructures et à développer les réseaux économiques, ce qui pourrait accroître la dépendance économique de certains États membres de l’UE, en particulier ceux d’Europe de l’Est.
Les positions européennes sur cette expansion varient également ; certains responsables estiment qu’il est nécessaire de resserrer le contrôle sur les investissements chinois au sein de l’UE pour protéger la souveraineté économique, tandis que d’autres soutiennent que la coopération avec la Chine dans certains domaines pourrait favoriser une croissance économique partagée. La signature d’importants accords d’investissement par certains pays, tels que la Serbie et d’autres pays des Balkans avec Pékin, soulève des préoccupations concernant la possibilité que ces investissements deviennent des instruments de renforcement de l’influence chinoise dans la région.
Dans le contexte de la nouvelle administration Trump, la pression américaine pourrait amener l’Europe à surveiller de plus près les investissements chinois, Washington cherchant à imposer des restrictions supplémentaires sur les investissements étrangers dans des secteurs vitaux au sein de l’UE. Ce contexte aggrave la complexité géopolitique, où les intérêts économiques s’intercalent avec des considérations sécuritaires et stratégiques ; cela pose aux Européens des défis pour instaurer une position unifiée qui concilie leurs intérêts économiques et leurs préoccupations sécuritaires.
Défis commerciaux Les défis commerciaux constituent l’un des principaux obstacles au rapprochement entre la Chine et l’UE, car les dernières années ont connu une montée des contentieux commerciaux et des mesures protectionnistes de la part des deux côtés. L’UE a pris des mesures pour imposer des droits de douane sur les importations de certains produits chinois, tels que les véhicules électriques, dont certains taux ont atteint 45 %, invoquant les politiques de soutien gouvernemental que la Chine accorde à ses industries nationales. En réponse, la Chine a mis en place des mesures similaires sur des produits européens, comme les spiritueux, ce qui a intensifié le conflit commercial entre les deux.
Les politiques commerciales américaines renforcent ces défis, l’administration Trump tentant d’influencer les politiques commerciales européennes en pressant les gouvernements de réduire leur dépendance vis-à-vis des produits chinois et d’accroître leurs exportations des États-Unis. Des rapports indiquent que de telles politiques pourraient accroître l’incertitude dans les relations commerciales, augmenter les coûts de production pour les entreprises européennes intégrées dans des chaînes de valeur mondiales. Les investisseurs et les entreprises sont confrontés à des défis liés aux fluctuations des politiques commerciales réciproques, ce qui impacte la planification stratégique et la compétitivité internationale du secteur industriel européen.
Des défis supplémentaires se manifestent dans le secteur technologique, où les préoccupations relatives à la cybersécurité et à la dépendance technologique ont poussé certains pays européens à imposer des restrictions sur l’utilisation de technologies et d’équipements chinois dans les infrastructures critiques, ajoutant une nouvelle dimension aux conflits commerciaux. Ces mesures coïncident avec des politiques américaines visant à limiter l’utilisation de certaines technologies chinoises, rendant la situation commerciale entre la Chine et l’UE encore plus complexe. Cette réalité commerciale instable soulève des questions sur la durabilité du partenariat économique entre les deux parties, dans le contexte d’une dynamique commerciale en évolution et de pressions extérieures croissantes.
Scénarios futurs
Les scénarios potentiels entre la Chine et l’UE varient entre un rapprochement économique limité, un équilibre stratégique, une participation plus profonde ou des tensions croissantes dues à des pressions américaines. Voici un aperçu de ces scénarios :
Scénario un : Accord global (Accord Trump-Europe) Dans ce scénario, après une série de tensions initiales entre l’administration Trump et l’UE, un accord économique global est atteint, redéfinissant les relations commerciales entre les deux parties. Cet accord repose sur la diminution par les États-Unis de certaines politiques protectionnistes, comme l’abrogation des droits de douane sur les importations européennes, en échange d’engagements européens à acheter davantage de produits américains, surtout dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture et de l’industrie de défense. Par cet accord, l’administration Trump vise à obtenir des gains économiques immédiats, tandis que l’Europe y voit un moyen d’éviter une guerre commerciale totale, tout en conservant une certaine autonomie dans ses relations commerciales avec la Chine.
Pour les relations sino-européennes, ce scénario limite le rapprochement économique entre les deux parties, car certains pays européens pourraient être contraints de diminuer leurs échanges commerciaux avec la Chine dans le cadre des conditions de l’accord avec Washington. Néanmoins, il est peu probable que cet accord affecte la coopération sur des sujets climatiques et d’énergie renouvelable, l’Europe demeurant engagée dans son agenda environnemental et ayant besoin du partenariat chinois dans les technologies vertes et l’énergie propre. Cependant, certains grands projets, tels que les investissements chinois dans l’infrastructure européenne, pourraient ralentir à cause des pressions américaines.
Bien que ce scénario ait le potentiel de réussir, il fait face à des obstacles, notamment la possibilité que l’Europe refuse les directives américaines, surtout si elles impliquent des restrictions strictes vis-à-vis de ses relations avec la Chine. De plus, Trump pourrait ne pas être prêt à offrir des concessions adéquates, rendant ainsi l’accord peu attrayant pour les pays européens, et donc susceptible de s’effondrer avant même sa réalisation.
Scénario deux : Rapprochement économique limité Dans ce scénario, l’Europe et la Chine continuent de construire des relations économiques relativement solides, mais sans atteindre le niveau d’un partenariat stratégique complet. Cela résulte de pressions américaines partielles pour empêcher un rapprochement sino-européen, ou de tensions persistantes entre les deux parties dans certains domaines technologiques et d’investissement.
La Chine reste un partenaire commercial clé pour l’Europe, mais les nations européennes pourraient éviter d’étendre leur coopération avec Pékin dans certains secteurs sensibles, tels que les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et les communications, par crainte de réactions américaines. Cela dit, la coopération entre la Chine et l’Europe se poursuit dans les domaines des énergies renouvelables et des technologies écologiques, en raison des besoins européens pour l’innovation chinoise dans ces secteurs, notamment en matière de développement de batteries électriques, d’hydrogène vert et de technologies de stockage d’énergie.
Un facteur clé soutenant ce scénario est le désir de l’Europe de maintenir des relations équilibrées avec tant les États-Unis que la Chine, en cherchant à tirer parti des deux marchés sans entrer en conflit direct avec l’un d’eux. D’un autre côté, bien que la Chine souhaite approfondir ses relations avec l’Europe, elle pourrait préférer une approche plus prudente pour éviter une escalade avec Washington, qui pourrait intensifier les sanctions économiques si elle ressent que la Chine étend son influence en Europe de manière excessive.
Malgré les opportunités que ce scénario présente, il fait face à des défis, en particulier la possibilité que l’administration Trump impose davantage de restrictions sur les entreprises européennes traitant avec la Chine, ce qui pourrait compliquer les relations économiques entre les deux parties.
Scénario trois : Équilibre stratégique entre Pékin et Washington Dans ce scénario, l’Europe adopte une approche équilibrée entre la Chine et les États-Unis, s’efforçant de ne pas se ranger complètement du côté d’une des deux parties. Cela reflète une volonté européenne croissante de renforcer son indépendance stratégique, tout en évitant de s’aliéner Washington, mais sans pour autant accepter totalement les impositions de Trump, ce qui permettrait de maintenir ses relations économiques avec la Chine tout en limitant une dépendance excessive.
La coopération euro-chinoise se poursuit dans le domaine des énergies renouvelables et des technologies vertes, mais avec des contrôles européens stricts sur les investissements chinois, notamment dans des secteurs sensibles tels que les infrastructures stratégiques, les communications et l’intelligence artificielle. Parallèlement, l’Europe maintient ses relations avec les États-Unis tout en cherchant à éviter de tomber dans un piège de dépendance économique et politique envers Washington, en recherchant d’autres partenariats en Asie et en Amérique latine pour diversifier ses alliances.
Ce scénario offre à l’Europe la possibilité de bénéficier des deux plus grandes économies mondiales sans être contrainte de choisir entre elles, mais il n’est pas sans risques. Washington pourrait tenter de faire pression sur l’Europe pour qu’elle adopte une position plus claire contre la Chine, que ce soit à travers des sanctions économiques ou des restrictions technologiques, rendant ainsi cet équilibre difficile à maintenir. D’autre part, la Chine pourrait chercher à renforcer sa présence en Europe au-delà de la coopération économique traditionnelle, ce qui pourrait susciter des inquiétudes parmi certains gouvernements européens et les inciter à limiter leur ouverture envers Pékin.
Scénario quatre : Tempête parfaite (guerre commerciale ouverte entre Washington et l’Europe) Dans ce scénario, l’administration Trump adopte une position plus agressive envers l’Europe en imposant des droits de douane globaux sur les produits européens, ce qui entraîne une guerre commerciale ouverte entre les deux parties. Ce conflit pourrait également inclure des restrictions sur les investissements européens aux États-Unis, des sanctions contre les entreprises européennes qui traitent avec la Chine, et une pression américaine pour forcer l’Europe à rompre ses liens économiques avec Pékin.
En conséquence, l’Europe pourrait être contrainte de rechercher des alternatives commerciales et d’investissement, ce qui rendrait la Chine l’un de ses partenaires les plus attrayants. Dans ce cas, Pékin pourrait passer d’un simple partenaire économique à un allié stratégique majeur pour l’Europe, notamment dans des secteurs soumis à des restrictions américaines, tels que les semi-conducteurs, les énergies renouvelables et les technologies vertes.
Parallèlement, l’Europe pourrait réagir à l’escalade américaine en renforçant sa coopération avec la Chine dans des projets d’infrastructure énergétique et en explorant de nouvelles mécanismes pour réduire sa dépendance au dollar dans les transactions commerciales bilatérales, ce qui pourrait potentiellement conduire à des transformations radicales dans le paysage économique mondial.
Bien que ce scénario ouvre la voie à un renforcement sans précédent des relations sino-européennes, il est également jugé peu probable en raison des risques considérables qu’il implique, notamment la désintégration de l’alliance transatlantique, la montée des tensions géopolitiques, et d’éventuels impacts néfastes sur les marchés financiers européens et américains à la suite de la guerre commerciale.
Conclusion
Dans un contexte de tensions mondiales croissantes et d’incertitudes concernant les politiques américaines sous l’administration Trump, le rapprochement sino-européen demeure tributaire d’un mélange d’intérêts communs et de défis complexes. Bien qu’il existe des opportunités pour renforcer la coopération, notamment dans des domaines tels que le commerce et le changement climatique, les obstacles structurels, les divergences stratégiques, et les conflits sur des questions internationales rendent tout rapprochement stratégique complet difficile.
Cependant, l’Europe restera dans une position d’équilibre, oscillant entre le besoin de protéger ses intérêts économiques et sécuritaires avec les États-Unis et le souhait de renforcer ses partenariats avec la Chine sur des questions correspondant à son agenda à long terme. Dans un tel environnement géopolitique changeant, les perspectives de rapprochement sino-européen dépendront de la capacité des deux parties à surmonter leurs différends et à développer des mécanismes de coopération plus durables, loin des perturbations imposées par les fluctuations politiques américaines.
References
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