L’Union européenne devra mobiliser tout son arsenal juridique, associé à une volonté politique, pour affronter les grandes entreprises technologiques américaines avec le retour au pouvoir de Donald Trump. Pendant ce temps, Elon Musk et Mark Zuckerberg accusent le bloc de pratiquer la « censure ».
La surprise de Mark Zuckerberg
Quelques jours avant l’investiture de Trump comme président des États-Unis, le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé de manière inattendue la fin du programme de vérification des informations sur Facebook et Instagram aux États-Unis, laissant entendre que ces changements pourraient s’étendre à l’Europe.
Zuckerberg a accusé l’Europe d’adopter « un nombre croissant de lois qui institutionnalisent la censure », reprenant ainsi les propos d’Elon Musk, propriétaire de X, qui critique depuis longtemps les efforts de l’UE pour réguler l’espace numérique.
En mettant fin au programme de vérification des faits aux États-Unis, Zuckerberg se rapproche d’autres dirigeants technologiques cherchant à s’aligner sur le duo conservateur formé par Musk et le président élu Trump. Son annonce est intervenue quelques jours avant l’investiture de Trump, sous la pression de plusieurs dirigeants technologiques américains souhaitant renforcer leurs liens avec la nouvelle administration.
Meta (la société mère de Facebook) avait lancé son initiative de vérification des faits après la victoire surprise de Trump en 2016, que ses opposants attribuaient à une campagne de désinformation massive sur Facebook et à des ingérences étrangères — notamment russes — via la plateforme. L’entreprise a été critiquée par les conservateurs, qui estiment avoir été injustement ciblés dans ses efforts de lutte contre la désinformation.
Bruxelles renforce son arsenal juridique
Bruxelles a renforcé son cadre juridique pour cibler les grandes plateformes numériques. Cependant, depuis la victoire électorale de Trump en novembre, le bloc a évité toute action concrète contre les entreprises technologiques américaines, semblant vouloir éviter de provoquer la future administration.
Meta affirme n’avoir actuellement aucun projet de mettre fin à ses opérations de vérification des faits dans l’UE et examinera ses engagements avant d’apporter des modifications. Toutefois, des sources indiquent que Meta a soumis un rapport d’évaluation des risques à la Commission européenne concernant d’éventuels ajustements de sa politique de contenu.
Le choix du silence
En réponse aux accusations de « censure » de Zuckerberg, la Commission européenne a fermement rejeté ces allégations, soulignant que « la liberté d’expression est au cœur » de son règlement phare, le Digital Services Act (DSA). Thibaut Bruttan de Reporters sans frontières a déclaré : « Promouvoir la vérité n’est pas de la censure, et une régulation démocratique n’est pas une entrave indue. »
Outre la réponse de la Commission, l’UE est restée silencieuse sur la décision de Meta d’abandonner la vérification des faits aux États-Unis — une décision que les experts craignent de voir libérer la désinformation. Alors que Musk, un allié de Trump, a irrité les dirigeants européens par ses critiques répétées, la Commission en charge de la politique numérique est restée en retrait.
Aucune déclaration n’a été faite par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ou par les commissaires en charge de la politique technologique concernant le dialogue prévu entre Musk et Alice Weidel, dirigeante du parti d’extrême droite allemand AfD, qu’il soutient ouvertement avant les élections nationales.
Jeter de l’huile sur le feu
Paula Bieño, porte-parole de von der Leyen, a décrit ce silence comme un « choix politique pour éviter toute controverse supplémentaire ». Alexandre de Streel du Centre on Regulation in Europe a noté : « Il y a probablement une volonté — peut-être malavisée — de ne pas attaquer directement Trump ou Musk, par crainte de représailles. »
La Commission a souligné que le DSA ne dicte pas le contenu en ligne mais exige des plateformes qu’elles respectent les lois nationales. Concernant Musk, Bruxelles a affirmé son droit à la liberté d’expression mais a averti qu’elle surveillerait les discussions de l’AfD pour évaluer si les algorithmes de X favorisaient injustement le contenu d’extrême droite.
En décembre 2023, l’UE a lancé une enquête DSA contre X pour contenu illégal et désinformation, mais n’a pas encore rendu de décision formelle. De Streel a reconnu que « prouver les violations est extrêmement difficile ».
Umberto Gambini de Forward Global, un cabinet de conseil en politiques européennes, a déclaré : « Si la Commission von der Leyen agit contre Musk, cela ferait plus qu’ajouter de l’huile sur le feu. » Il a expliqué à l’AFP que l’application du DSA « reste largement une question politique ».
Plus strict avec les autres
Tout le monde n’est pas satisfait de la position de l’UE. La France a exhorté la Commission à protéger les États membres des interférences politiques, notamment de Musk. Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot a averti : « Soit la Commission applique nos lois avec toute la rigueur nécessaire pour protéger le débat public, soit elle doit rendre leur autorité régulatrice aux États membres. »
L’hésitation récente de la Commission ne se limite pas à Meta et X. Le jour des élections américaines, des rapports suggéraient qu’Apple risquait des amendes dans le cadre du nouveau Digital Markets Act (DMA) de l’UE, mais deux mois plus tard, aucune sanction n’a été imposée. Des sources indiquent que la Commission a mis l’amende en suspens pour éviter de tendre les relations transatlantiques sous Trump — un contraste frappant avec son approche envers les entreprises non américaines.
En décembre, la Commission a également ouvert une enquête sur TikTok, propriété chinoise, pour ingérence russe présumée dans l’annulation de l’élection présidentielle roumaine.
Retour à Washington
Depuis la victoire de Trump en novembre, des dirigeants technologiques — dont Zuckerberg, le PDG d’Apple Tim Cook et le fondateur d’Amazon Jeff Bezos — se sont précipités pour le rencontrer en Floride. Amazon et Meta ont chacun versé 1 million de dollars au fonds d’investiture de Trump, tandis que Cook a contribué personnellement. Musk, l’homme le plus riche du monde et propriétaire de X, fait désormais partie des conseillers les plus proches de Trump.
Ce revirement est spectaculaire par rapport à 2021, lorsque les comptes de Trump avaient été suspendus sur Facebook et Twitter après l’émeute du Capitole, où il avait été accusé d’incitation à la violence pour renverser les résultats de l’élection de 2020.
Après quatre ans de surveillance antitrust sous Biden, les discours des partisans de Trump en faveur de la liberté d’expression et de la dérégulation ont rapproché les entreprises technologiques. Ethan Zuckerman, professeur de politiques publiques ayant récemment poursuivi Meta pour biais algorithmique, a déclaré à l’AFP que la fin de la vérification des faits sert les intérêts commerciaux de Zuckerberg — car c’est « coûteux, difficile et controversé ». Mais pour la sphère technologique de droite, c’est une correction des « excès » passés.
L’investisseur David Sacks, pressenti pour diriger la politique d’IA dans l’administration Trump, a qualifié cela de « victoire majeure et tournant » pour les défenseurs de la liberté d’expression, remerciant Trump pour « le rétablissement de l’équilibre politique et culturel ».
Menaces ouvertes
Trump a longtemps critiqué Meta et Zuckerberg, accusant l’entreprise de partialité et promettant des représailles à son retour. Interrogé pour savoir si l’abandon de la vérification des faits était une réponse à ses menaces, Trump a répondu : « Oui, probablement. »
Le rapprochement entre Zuckerberg et Trump était attendu depuis longtemps. Meta a récemment ajouté Dana White, un allié de Trump, à son conseil d’administration. L’annulation de la vérification des faits a suivi les accusations de Brendan Carr, nommé par Trump à la tête de la FCC, qui a qualifié Facebook, Google et Apple de principaux acteurs d’un « cartel de la censure ».

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