Le contrôle occidental sur le système international a ouvert la porte à un rôle de plus en plus prépondérant de ce qu’on appelle la géoéconomie. La pensée géoéconomique précède ou fusionne avec la pensée géopolitique dans l’esprit américain (et occidental en général). Depuis son ascension marquée après la Première Guerre mondiale, les États-Unis ont largement cherché à étendre leur influence économique sur tous les continents à travers des portails officiels et officieux. On peut dire que la géoéconomie, en tant qu’approche pour servir les ambitions économiques américaines, a façonné le monde d’aujourd’hui – pas seulement sur le plan militaire.
Aucune preuve n’est plus claire de cette priorité donnée à la géoéconomie sur la géopolitique que les stratégies de sécurité nationale qui définissent l’orientation des États-Unis. De l’administration Truman à aujourd’hui, aucun document stratégique américain n’a omis les efforts pour libéraliser le commerce, stimuler la croissance et élargir les partenariats. Cependant, l’administration Biden s’est concentrée intensément sur l’expansion des partenariats plus que toute autre administration américaine. Dans la Stratégie de Sécurité Nationale 2022, l’administration Biden a considéré la troisième décennie du XXIe siècle comme décisive pour façonner le sort de l’ordre international actuel et déterminer le futur système international. Ainsi, la stratégie souligne la nécessité pour les États-Unis de renforcer les relations avec des partenaires partageant les mêmes idées, ouvrant des voies de coopération dans des domaines tels que la sécurité climatique, énergétique, sanitaire, la réponse aux pandémies, la sécurité alimentaire et la coordination en matière de sécurité maritime, de lutte contre le terrorisme, la traite des êtres humains et tous les facteurs affectant le système économique mondial.
Au cours des deux dernières années, l’administration Biden a poursuivi rapidement cet objectif, établissant plusieurs cadres économiques pour mettre en œuvre des projets géoéconomiques ambitieux, tels que :
- Le Cadre Économique Indo-Pacifique (IPEF).
- Le sommet américain avec les pays insulaires du Pacifique (PICS) dans le cadre de la stratégie « Indo-Pacifique Libre et Ouvert ».
- La création du groupe I2U2 en 2022, composé de l’Inde, des Émirats Arabes Unis et d’Israël, qui devrait rapidement dépasser la perspective géoéconomique.
Sans aucun doute, la Chine a réussi à attirer les États-Unis dans une arène où Pékin détient des atouts. La Chine, qui a construit son projet mondial sur le principe de la coopération économique mutuelle, est devenue un obstacle à l’influence occidentale en raison de la logique « donneur-bénéficiaire » de l’Occident face à l’approche « gagnant-gagnant » de Pékin.
Les pays d’Asie occidentale ont trouvé en Chine un partenaire économique solide. Récemment, Pékin a renforcé son rôle diplomatique dans la région, comme en témoigne sa médiation réussie de l’accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. L’influence croissante de la Chine et l’échec des politiques traditionnelles américaines ont forcé Washington à changer ses stratégies dans la région. L’époque où Washington était un pôle dominant incontesté est révolue, tout comme sa capacité à exercer des pressions sur les pays sans leur offrir d’incitations pour les attirer.
Ainsi, les États-Unis se sont trouvés contraints de proposer des projets en Asie occidentale comme alternatives aux projets chinois, visant à éloigner les pays régionaux de la coopération avec Pékin. Tout projet parrainé par les États-Unis servira in fine Israël, avec comme objectif secondaire de contrer l’Iran. (1)
Les États-Unis ne considèrent plus la Chine simplement comme un concurrent stratégique, mais sont passés à une logique de containment face à un adversaire cherchant à les détrôner du sommet de la hiérarchie internationale. La rivalité entre les deux a évolué d’une lutte bilatérale vers un « conflit d’alliances », chacun cherchant à solidifier des partenariats avec d’autres nations. Dans ses efforts de containment, les États-Unis ont tissé un réseau d’alliances avec des pays entourant Pékin, dont beaucoup craignent de vivre à côté d’un géant comme la Chine.
Malgré les tentatives chinoises d’apaiser ces craintes, elle n’a pas réussi à rassurer ses voisins, en raison de considérations géopolitiques (hostilités historiques entre États voisins) et des interventions américaines qui amplifient ces peurs. Ces alliances américaines ont pris divers noms et fixé différents objectifs, mais leur but central reste le « containment de la Chine » et son affaiblissement. (2)
La Stratégie Américaine en Asie
Dans un discours du conseiller à la sécurité nationale américain Jake Sullivan lors d’un séminaire organisé par le Centre d’études du Moyen-Orient le 4 mai 2023, il a exposé la stratégie américaine envers l’Asie occidentale. Le principal moteur de la politique étrangère américaine dans les « années décisives à venir », comme l’a exprimé le président Joe Biden, est la concurrence avec les puissances mondiales pour l’influence. Sullivan a souligné que les décisions de Washington dans les prochaines années façonneront la politique étrangère américaine pour des décennies.
Au niveau mondial, les États-Unis considèrent la Chine comme leur menace stratégique. En Asie occidentale, Washington identifie Téhéran comme la principale menace à ses intérêts. L’émergence de l’Orient comme un hub pour des projets économiques et géopolitiques majeurs exerce une pression sur les États-Unis, surtout qu’il attire de nombreuses nations. Comment l’Amérique fera-t-elle face à cette réalité en Asie occidentale ?
Sullivan a décrit la stratégie américaine pour l’Asie occidentale autour de cinq points clés :
- Bâtir des partenariats : Washington cherche à renforcer la coopération régionale, reliant les États régionaux à lui-même.
- Assurer la dissuasion : Prioriser la dissuasion des menaces et la protection des intérêts américains.
- Désescalade diplomatique : Éviter les distractions face au défi chinois.
- Intégration régionale : Un Moyen-Orient plus interconnecté profite aux alliés, favorise la paix et réduit les engagements américains à long terme.
- Défendre les valeurs américaines : Promouvoir la démocratie et les droits de l’homme. (3)
Les Alliances Américaines pour Contrer l’Influence Chinoise
- L’Alliance I2U2
Les structures d’alliances dans les régions stratégiques clés ont subi des changements, avec l’émergence du « minilatéralisme » – une coopération multilatérale à petite échelle pour des objectifs stratégiques précis. Face au déclin des structures de sécurité dirigées par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale et à la montée de la Chine et de la Russie, Washington a construit des alliances flexibles, notamment :
- I2U2 : Inde, Israël, États-Unis et Émirats Arabes Unis.
- Quad : États-Unis, Japon, Australie et Inde.
- AUKUS : Australie, Royaume-Uni et États-Unis. (4)
Origines de l’I2U2 :
Formé en octobre 2021 lors de la visite du ministre indien des Affaires étrangères S. Jaishankar en Israël, l’I2U2 s’est initialement concentré sur les liens économiques, mais s’est rapidement élargi. Le premier sommet virtuel le 14 juillet 2022 a abordé la sécurité alimentaire et l’énergie propre. Principaux résultats :
- Collaboration économique dans l’eau, l’énergie, les transports, l’espace, la santé et la sécurité alimentaire.
- Soutien aux accords de normalisation avec Israël.
- L’intérêt de l’Inde à rejoindre la « Mission pour l’Innovation Agricole face au Climat » (AIM for Climate). (6)
Projets Clés :
- Sécurité alimentaire : Les Émirats investiront 2 milliards de dollars en Inde pour des parcs alimentaires intégrés utilisant des technologies avancées pour réduire le gaspillage.
- Énergie propre : Un projet d’énergie renouvelable de 300 MW dans le Gujarat (Inde), financé par une étude de faisabilité américaine de 330 millions de dollars. (7)
Motivations :
- Émirats Arabes Unis : Renforce son rôle régional et sa diplomatie économique.
- Inde : Approfondit son engagement stratégique avec l’Asie occidentale.
- Israël : Étend les « Accords d’Abraham », intégrant anciens et nouveaux partenaires. (9)
Relations Commerciales :
Le commerce total entre les membres a atteint près de 400 milliards de dollars en 2021, avec l’Inde en tête (188 milliards). Le partenariat Émirats-Inde est fondateur, avec 73 milliards de dollars d’échanges bilatéraux. (10)
Objectifs Stratégiques :
- Contrer l’Initiative « Ceinture et Route » (BRI) de la Chine.
- Réduire la dépendance régionale envers la coopération chinoise.
- Favoriser la normalisation israélienne.
- Répondre collectivement aux menaces sécuritaires non traditionnelles. (11)
L’I2U2 est-il un Outil Américain contre la BRI ?
Bien que les membres partagent des intérêts communs, les États-Unis visent à éloigner Israël et les Émirats de la Chine. L’Inde cherche des gains sans provoquer les acteurs régionaux, tandis que les Émirats misent sur les transferts technologiques. L’alliance complète les efforts américains de containment en Asie et au Moyen-Orient. (12)
- L’Alliance Quad
Origines :
Formé en 2007 pour contrer l’expansion chinoise dans le Pacifique, le Quad (États-Unis, Inde, Japon, Australie) s’est effondré en 2008 sous la pression chinoise, mais a été relancé en 2017 face à la montée agressive de Pékin.
Mission :
Un forum stratégique (non militaire) axé sur :
- La sécurité maritime (contre les actions chinoises en mer de Chine méridionale).
- Les investissements dans les infrastructures (50 milliards de dollars promis pour contrer la BRI).
- Le climat, la cybersécurité et la gestion des catastrophes. (16)
Stratégie du « Collier de Diamants » de l’Inde :
Un réseau d’alliances militaires, économiques et sécuritaires avec l’Indonésie, le Japon, Oman, le Vietnam et d’autres pour contrer l’impact diplomatique de la BRI. (19)
Agenda Récent :
- Un sommet à Tokyo en 2022 a promis un « Indo-Pacifique ouvert », ciblant la pêche illégale (une référence voilée à la Chine).
- Parallèlement à l’AUKUS, le Quad renforce la dissuasion régionale. (21)
- L’Alliance AUKUS
Aperçu :
Lancé en septembre 2021, l’AUKUS (Australie, Royaume-Uni, États-Unis) se concentre sur le transfert de technologie de sous-marins nucléaires à l’Australie – une première depuis les années 1950 – pour contrer la domination chinoise dans le Pacifique. (22)
Éléments Clés :
- L’Australie annule un contrat de 50 milliards de dollars avec la France pour des sous-marins américains nucléaires.
- Renforce la coopération en cybersécurité, IA et armes hypersoniques.
- Vise à rééquilibrer les rapports de force dans le Pacifique. (24)
Motivations :
- États-Unis : Pivot vers l’Asie, containment de la Chine et réaffirmation du leadership post-Afghanistan.
- Royaume-Uni : Recherche d’une pertinence post-Brexit.
- Australie : Contre les menaces chinoises avec des capacités avancées. (27)
Réactions :
- La France a condamné l’accord comme un « coup de poignard dans le dos ».
- La Chine a comparé l’AUKUS à une « OTAN asiatique ». (26)
Observations Finales
Les États-Unis font face à des défis pour maintenir leurs alliances face aux liens économiques avec la Chine, au scepticisme européen et au besoin de partage des coûts. L’AUKUS et le Quad reflètent une nouvelle ère de compétition stratégique, tandis que la Chine répond via des partenariats au Pakistan, en Afghanistan et en Asie centrale. (28-29)
Liste des Sources Citées
- Analysis of U.S. Strategic Shifts in West Asia – Discusses U.S. efforts to counter Chinese influence through economic alliances like I2U2.
- Containment of China via Alliances – Examines U.S. strategies to weaken China’s global influence through partnerships with regional actors.
- U.S. National Security Strategy (2022) – Official document outlining Biden’s focus on alliances, climate security, and Indo-Pacific priorities.
- Overview of U.S.-Led Alliances (I2U2, Quad, AUKUS) – Comparative study of minilateral frameworks targeting China.
- Origins of I2U2 (2021–2022) – Details the group’s formation as an economic forum and expansion into strategic cooperation.
- White House Statement on I2U2 Summit (July 2022) – Official release on food/energy projects and support for Israeli normalization.
- UAE-India Food Parks & Renewable Energy Projects – Reports on I2U2’s $2 billion investment and Gujarat’s 300 MW solar/wind initiative.
- UAE’s Role in I2U2 – Highlights Abu Dhabi’s economic diplomacy and regional leadership aspirations.
- India’s Strategic Gains in I2U2 – Analyzes trade ties with the U.S., UAE, and Israel, including defense and tech partnerships.
- IMF Trade Data (2021) – Statistics on commerce between I2U2 members (~$400 billion total).
- Geopolitical Aims of I2U2 – Argues the alliance counters BRI, isolates Russia, and integrates Israel regionally.
- Divergent Goals Within I2U2 – Explores how members leverage the group for distinct interests (e.g., UAE’s tech transfers, India’s hedging).
- U.S. Counter-BRI Initiatives (Blue Dot Network, IPEF) – Critiques Western infrastructure alternatives to China’s Belt and Road.
- Quad’s Origins (2004 Tsunami Response) – Traces the group’s evolution from disaster relief to security dialogue.
- Quad as “Asian NATO” – Debates its military vs. economic focus and China’s backlash.
- Quad Revival (2017–2021) – Covers renewed cooperation under Biden, including maritime surveillance and $50B infrastructure pledges.
- Quad’s 2022 Tokyo Summit – Focus on illegal fishing, climate, and “open Indo-Pacific” rhetoric.
- China’s Counter-Alliance Moves (Pakistan, Afghanistan, Central Asia) – Details Beijing’s regional partnerships to offset U.S. pressure.
- India’s “Diamond Necklace” Strategy – Examines New Delhi’s network of partnerships to rival BRI.
- Quad-AUKUS Synergy – Analyzes overlapping roles in deterring China, including Australia’s nuclear subs.
- Quad’s 2022 Fisheries Program – Targets IUU fishing (implicitly criticizing Chinese vessels).
- AUKUS Announcement (September 2021) – Covers nuclear submarine deal and tech-sharing terms.
- French Backlash Over AUKUS – Macron’s “betrayal” rhetoric and diplomatic fallout.
- AUKUS as a Pacific Deterrent – Assesses its impact on regional power balances vis-à-vis China.
- China’s Naval Expansion – Context for AUKUS as a response to PLA Navy modernization.
- Global Reactions to AUKUS – Support from allies (e.g., NZ, Canada) vs. Chinese condemnation.
- Motivations of AUKUS Members – U.S. pivot to Asia, UK’s post-Brexit role, Australia’s security fears.
- U.S. Challenges in Alliance Management – Tensions with Europe, cost-sharing, and hedging by partners.
- Future of U.S.-Led Alliances – Proposals to link frameworks (e.g., Quad + AUKUS) and address BRI’s appeal.

Subscribe to our email newsletter to get the latest posts delivered right to your email.
Comments