Depuis l’annonce de l’idée de la « Route de Transport International Trans-Caspienne » en 2012, le Corridor du Milieu est devenu l’un des projets les plus ambitieux dans le monde de la logistique. Ce projet vise à créer un pont commercial entre la Chine et l’Europe via une route terrestre et maritime rapide et sécurisée, contournant les corridors traditionnels dominés par la Russie. L’intérêt mondial croissant pour ce projet après la guerre russo-ukrainienne a soulevé des questions sur sa capacité à surmonter les défis économiques et géopolitiques qui pourraient en limiter l’efficacité.

Description du projet

Le Corridor du Milieu, également connu sous le nom de « Route de Transport International Trans-Caspienne » (TITR), est une route de transport terrestre et maritime reliant la Chine à l’Europe. Les expéditions commencent en Chine, voyagent par rail jusqu’au Kazakhstan, atteignent le port d’Aktau au Kazakhstan, traversent la mer Caspienne jusqu’au port de Bakou en Azerbaïdjan, puis se poursuivent par rail vers la Géorgie, et enfin vers l’Europe du Sud ou centrale—soit via les ports géorgiens de la mer Noire, soit par la Turquie via le chemin de fer « Bakou-Tbilissi-Kars », selon la destination de l’expédition.

S’étendant sur 7 000 kilomètres, le Corridor du Milieu est géographiquement le chemin le plus court entre l’ouest de la Chine et l’Europe, par rapport au Corridor Nord de 10 000 kilomètres et à la route maritime traditionnelle de 20 000 kilomètres. La Turquie et la Géorgie ont d’abord proposé le projet sérieusement en 2012, et l’idée a retenu l’attention des décideurs au Kazakhstan et au Turkménistan.

De plus, l’ouverture de la ligne ferroviaire trans-caspienne du Kazakhstan, reliant Bakou (Azerbaïdjan), Tbilissi (Géorgie) et Kars (turquie orientale), a marqué le premier pas pratique vers la mise en œuvre du projet et, plus largement, la connectivité commerciale entre l’Asie et l’Europe via les États turciques. Enfin, le premier train de fret dédié au Corridor du Milieu de la Chine à la Turquie a été réalisé en 2020.

Le projet a été officiellement adopté lors de la Déclaration d’Ankara, ratifiée lors de la 11e réunion des ministres des Transports de l’Organisation de Coopération Économique (ECO) en février 2022. Les pays mentionnés ont également convenu formellement du projet lors de la conférence internationale « Logistique et ses avantages dans le développement des liens de transport entre le Tadjikistan et les pays régionaux », tenue à Douchanbé, au Tadjikistan, le 2 novembre 2023. Enfin, des discussions ont eu lieu sur l’unification des normes légales et techniques pour réglementer le transport de marchandises via le corridor, ainsi que sur l’amélioration de la connectivité des transports entre les pays participants.

Ainsi, on peut conclure que le projet a connu des progrès significatifs au cours des dernières années, bien qu’il reste à l’étape de formulation réglementaire et technique. Cet article offre un aperçu analytique complet des opportunités et des contraintes affectant le potentiel de succès du projet.

Motivations de la Turquie à soutenir le projet

Renforcer le rôle de la Turquie en tant que hub de gaz naturel : Ankara vise à tirer parti du projet pour devenir un lien entre les centres de production d’énergie en Asie centrale et les marchés de consommation européens. Lors d’une réunion en 2024 des dirigeants des États turciques à Shusha, en Azerbaïdjan, le vice-président turc Cevdet Yılmaz a déclaré : « Le transfert de gaz naturel turkmène vers la Turquie et l’Europe contribuera à notre bien-être national et à la sécurité énergétique de l’Europe. » Cela souligne la valeur stratégique du projet tant pour la sécurité énergétique turque qu’européenne.

Approfondir les liens avec le monde turcique : Le projet s’aligne sur la « Vision du Monde Turcique 2040 », qui vise à transformer l’Organisation des États turciques (y compris la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan) en un modèle semblable à l’UE, permettant la libre circulation des biens, des capitaux, des services, de la technologie et des personnes entre les États membres. La déclaration de Yılmaz soutient cela : « Le projet de transport s’étendant de la Turquie à l’Asie centrale renforcera la coopération entre les États turciques et mettra en valeur le rôle mondial du monde turcique. » Cela signifie que le Corridor du Milieu renforce les liens économiques et culturels de la Turquie avec l’Asie centrale grâce à une connectivité géographique directe.

Élever le rôle de la Turquie dans le commerce mondial : Lors de la même réunion, Omer Kocaman, secrétaire général adjoint de l’Organisation des États turciques, a souligné l’importance du Corridor du Milieu en tant que « voie de commerce mondiale ». Il a également insisté sur l’exploitation de l’emplacement stratégique du monde turcique—en particulier la position de la Turquie à la « croisée des continents »—pour maximiser la valeur économique. Les remarques de Kocaman mettent en avant les ambitions d’Ankara d’exploiter l’instabilité géopolitique sur des routes concurrentes pour renforcer sa position dans le commerce mondial : « Face aux défis mondiaux récents, le Corridor du Milieu est devenu une artère extrêmement vitale. Au-delà de la facilitation du commerce, son importance stratégique renforcera la résilience économique et la coopération au milieu des dynamiques géopolitiques évolutives. » Ainsi, la Turquie présente le Corridor du Milieu comme la voie commerciale la plus stable et sécurisée aujourd’hui.

Réduire l’influence russe en Asie centrale : Au-delà des bénéfices économiques, le projet a des dimensions politiques pour Ankara, car il réduit la dépendance des républiques turciques à l’égard de la Russie pour le commerce mondial. La Turquie vise à détourner au moins 30 % du trafic du Corridor Nord vers le Corridor du Milieu. Si cela réussit, le corridor offrira des opportunités de développement pour les pays participants, à condition que la sécurité, la stabilité et une gouvernance efficace soient assurées.

Facteurs de succès du projet

Impact de la guerre russo-ukrainienne : Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale causées par la guerre ont accru l’intérêt pour des routes commerciales alternatives Est-Ouest évitant le territoire russe. Les sanctions occidentales contre Moscou ont rendu nécessaire de remplacer le Corridor Nord russe d’un point de vue économique. Le Corridor du Milieu a grandement bénéficié des entreprises de transport maritime qui se sont éloignées des routes dominées par la Russie, avec un volume de fret passant de 530 000 tonnes en 2021 à 3,2 millions de tonnes à la fin de 2022 (l’année où la guerre a commencé).

Croissance attendue : Le volume de fret via le Corridor du Milieu devrait atteindre 10 millions de tonnes, surtout après l’achèvement du réseau ferroviaire « Marmaray » sous le Bosphore, améliorant la connectivité entre l’Asie centrale et l’Europe. De grandes entreprises de transport maritime telles que le groupe ferroviaire autrichien Rail Cargo, le danois Maersk, le finlandais Nurminen Logistics et le néerlandais Rail Bridge Cargo ont déjà fait le choix du Corridor du Milieu. Le trafic maritime occidental via le Corridor Nord russe a chuté de 51 % en 2023, rendant le Corridor du Milieu une alternative attrayante. Une fois pleinement opérationnel, le temps de transit entre la Chine et l’Europe devrait être de seulement 12 jours.

Volonté politique sincère :

Chine : A investi dans les infrastructures logistiques soutenant le Corridor du Milieu, y compris la porte de Khorgos et la zone économique spéciale Khorgos-East Gate, formant un immense hub ferroviaire le long de la frontière entre la Chine et le Kazakhstan. Pour Pékin, une route commerciale non dominée par la Russie (comme le Corridor Nord) ou directement influencée par les États-Unis (comme la route maritime) revêt une valeur stratégique.

Turquie : A fait du Corridor du Milieu un point focal de sa politique étrangère en Asie centrale. De 2013 à 2015, elle a signé des accords avec l’Azerbaïdjan, la Chine, la Géorgie et le Kazakhstan pour améliorer la connectivité du corridor avec l’Europe. La Turquie a également construit le tunnel Eurasie et le pont Yavuz Sultan Selim à Istanbul (2016), tandis que d’autres projets comme la ligne ferroviaire à grande vitesse Edirne-Kars sont en passe d’être achevés.

UE : Pour réduire sa dépendance aux routes russes, l’UE soutient le projet en investissant dans les infrastructures. Bruxelles a alloué 10,8 milliards de dollars aux pays du corridor pour le développement des routes et des chemins de fer, en partie pour sécuriser l’accès au pétrole d’Asie centrale comme alternative au gaz russe.

États d’Asie centrale : Recherchent une plus grande autonomie et indépendance à travers le projet, le voyant comme un plan économique plus « équitable » par rapport à l’Initiative «Belt and Road» de la Chine, qui les a endettés. Le projet aide également à réduire l’influence régionale de la Russie.

Instabilité de la route sud : La « Route Sud », reposant sur le canal de Suez en Égypte (qui gère 15 % du commerce mondial), a subi des perturbations dues aux attaques des Houthis sur la navigation en mer Rouge. Le trafic du canal a chuté de 50 % en 2024, ce qui pourrait accroître l’intérêt pour des alternatives telles que le Corridor du Milieu.

Obstacles au projet du Corridor du Milieu

Environnement géopolitique : Malgré l’alignement économique entre les pays participants, des complexités géopolitiques pourraient freiner les progrès. La Russie pourrait utiliser son influence régionale pour entraver le projet afin de protéger ses intérêts commerciaux. Le Kazakhstan et le Kirghizistan sont membres de l’Union Économique Eurasienne dirigée par la Russie, donnant ainsi à Moscou le pouvoir de veto sur leur implication. De plus, le conflit prolongé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le Sud-Caucase et la présence militaire de la Russie dans la région d’Abkhazie en Géorgie créent une instabilité sécuritaire, dissuadant les investisseurs étrangers.

Déficiences d’infrastructure : Il existe des disparités dans les capacités d’infrastructure entre les pays participants. La Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement estime qu’il y a un besoin immédiat de 3,5 milliards d’euros pour des améliorations d’infrastructure. Alors que les chemins de fer russes pouvaient transporter 144 millions de tonnes de fret avant la guerre, la capacité actuelle du Corridor du Milieu ne couvre que 5 % de la demande commerciale Chine-Europe. Bien que le Kazakhstan ait construit 2 500 km de chemins de fer (35 milliards de dollars) et que l’Azerbaïdjan/le Kazakhstan soient en train de moderniser les ports de la mer Caspienne, des investissements supplémentaires sont nécessaires pour rivaliser à l’échelle mondiale.

Procédures douanières : Les retards aux frontières du Corridor du Milieu sapent son avantage compétitif en tant que route la plus courte entre la Chine et l’Europe. Le temps de transit réel est d’environ 40 jours (contre 12 jours projetés), avec des délais de livraison actuels deux fois plus longs que ceux du Corridor Nord. Des tarifs élevés (estimés à 5 000 parexpeˊditioncontre2800–3200parexpeˊditioncontre2800–3200 pour le Corridor Nord) affaiblissent encore la compétitivité. Contrairement à la Russie/Belarus, les pays du corridor manquent de pôles industriels le long de la route.

Compétitivité des routes maritimes : Le transport maritime représente 91 % du commerce Chine-Europe (contre 3,3 % pour le transport terrestre, selon les données de la Banque mondiale), offrant une plus grande capacité, des coûts moindres et un impact environnemental minimal. Malgré l’instabilité de la mer Rouge, le canal de Suez reste la route la plus attrayante pour les transporteurs mondiaux.

Défis environnementaux : Les fluctuations climatiques, comme les perturbations estivales de la mer Caspienne, entravent le mouvement des cargaisons. L’Azerbaïdjan prévoit d’élargir le port de Bakou, mais sans solutions aux obstacles climatiques, l’attrait du corridor reste limité. La baisse du niveau de la mer Caspienne (−29 mètres sous le niveau de la mer en 2023) nécessite davantage de ports en eau profonde et de navires.

Conclusion

Les motivations de la Turquie à soutenir le Corridor du Milieu incluent le renforcement de son rôle en tant que hub de gaz naturel, l’approfondissement des liens avec le monde turcique, l’amélioration de sa position dans le commerce mondial et la réduction de l’influence russe en Asie centrale.

Cependant, malgré son potentiel en tant qu’alternative stratégique aux corridors traditionnels, le projet fait face à d’importants obstacles. Les tensions géopolitiques, l’infrastructure incomplète, les retards logistiques, les coûts élevés et la concurrence maritime menacent son succès. Sans surmonter ces défis, le Corridor du Milieu pourrait avoir du mal à atteindre ses objectifs à court terme.

  1. Alberto Rizzi, Risk and reward: Why the EU should develop the Middle Corridor trade route. European Council For Foreign Relations. 11/4/2024. Available at: https://shorturl.at/htIAK
  2. Yunis Sharifli. From Disinterest to Strategic Priority: China’s Changing Approach to the Middle Corridor. Trends Research and Advisory. 24/11/2024. Available at: https://shorturl.at/ReUa2
  3. Hunter Stoll. The Middle Corridor: A Renaissance in Global Commerce. Rand Organization. 11/3/2024. Available at: https://shorturl.at/c2DXn
  4. Felix K. Chang. The Middle Corridor through Central Asia: Trade and Influence Ambitions. Foreign Policy Research Institute. Available at:
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