Le premier sommet entre l’Union européenne et les pays d’Asie centrale s’est conclu à Samarcande, en Ouzbékistan, le 4 avril 2025. Il a réuni les dirigeants de la région et des responsables de l’UE sous le slogan “Investir dans l’avenir”. À l’issue du sommet, la “Déclaration de Samarcande” a été adoptée, élevant les relations entre les deux parties à un niveau de partenariat stratégique. Un investissement de 12 milliards d’euros de l’Europe dans la région a été annoncé, axé sur les secteurs du transport, du climat, du numérique et des matières premières. La déclaration finale du sommet a mis en avant le soutien de l’UE à la stabilité et à la sécurité en Asie centrale, renforçant ainsi son rôle en tant qu’acteur clé dans la région, face à l’intensification de la concurrence régionale et internationale.
Résultats stratégiques
L’intérêt européen pour les pays d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizistan) a commencé il y a vingt ans, avec la nomination d’un représentant spécial pour la région en 2005. Par la suite, deux stratégies de coopération ont été émises en 2007 et 2019 pour renforcer la collaboration avec la région dans les domaines du développement durable et des droits de l’homme. L’intervention militaire russe en Ukraine, qui a débuté le 24 février 2022, a constitué un important motif de recentrage de l’attention européenne sur l’Asie centrale, en raison de son importance pour Moscou et pour renforcer la sécurité européenne.
Étant donné l’importance du sommet, les préparatifs ont été minutieux. En mars 2025, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères, “Kaja Kallas”, a effectué une tournée dans la région pour discuter des préparatifs du sommet, qui coïncidait également avec le 30ème anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre les pays européens et l’Asie centrale.
Cela s’est déroulé dans un contexte de changements régionaux et internationaux liés à la position de l’ancien président américain “Donald Trump” sur la guerre russo-ukrainienne, sa présence à l’OTAN et ses politiques économiques, ce qui affecterait à la fois l’Asie centrale et l’UE, qui s’efforcent de solidifier leur partenariat économique pour relever ces défis. Parmi les participants figuraient le Président du Conseil européen, “Antonio Costa”, la Présidente de la Commission européenne, “Ursula von der Leyen”, et des hauts responsables d’institutions financières internationales liées à l’UE. Le sommet a été ouvert et présidé par le Président ouzbek “Shavkat Mirziyoyev”, en présence des présidents du Kazakhstan (“Kassym-Jomart Tokayev”), du Kirghizistan (“Sadyr Japarov”), du Tadjikistan (“Emomali Rahmon”) et du Turkménistan (“Serdar Berdymukhammedov”), ce qui souligne l’intérêt de ces dirigeants pour renforcer la coopération mutuelle dans divers domaines. Globalement, le sommet a abouti à plusieurs résultats clés :
Établissement d’un partenariat stratégique entre les parties : “Von der Leyen” a qualifié le sommet d'”historique et de nouveau départ pour une amitié solide avec l’Asie centrale”. Elle a annoncé le début d’un “nouveau partenariat stratégique” avec les pays de la région et a annoncé le déploiement d’un paquet d’investissements de 12 milliards d’euros au titre de la stratégie de l’UE, le “corridor mondial”, pour renforcer la coopération avec les pays d’Asie centrale. À la suite du sommet, la “Déclaration de Samarcande” a été publiée, affirmant l’engagement à approfondir la coopération dans un environnement géopolitique mondial et régional en mutation et à promouvoir la coopération commerciale et d’investissement pour transformer l’Asie centrale en une région unifiée et dynamique favorisant l’intégration mutuelle, tout en élevant les relations entre les deux régions. Ce nouveau partenariat renforcera la présence et l’influence européennes dans la région face à la concurrence internationale et régionale de la part de la Russie, de la Chine et de la Turquie.
Objectif de doubler les investissements européens dans la région : L’UE est le deuxième partenaire commercial des pays d’Asie centrale et le plus grand investisseur, représentant 40 % de l’ensemble des investissements étrangers dans la région. Le président “Mirziyoyev” a déclaré que le commerce entre les pays d’Asie centrale et l’UE avait augmenté ces sept dernières années, atteignant 54 milliards d’euros, tandis que le volume d’échanges entre l’Ouzbékistan et l’UE s’élevait à 6,4 milliards d’euros en 2024. Plus de 1 000 entreprises européennes conjointes opèrent en Ouzbékistan.
Pour sa part, “Tokayev” a précisé que l’UE avait investi 200 milliards de dollars en Kazakhstan au cours des deux dernières décennies, tandis que ses exportations vers l’UE avaient augmenté de plus de 2 milliards de dollars par an. “Japarov” a noté que le commerce entre le Kirghizistan et l’UE avait doublé (2,4 fois) au cours des quatre dernières années, et “Rahmon” a confirmé que l’UE avait mis en œuvre 184 projets au Tadjikistan avec des financements dépassant un milliard de dollars.
Le sommet a également vu la signature de plusieurs accords entre les deux parties, notamment un accord portant sur l’ouverture d’un bureau régional de la Banque européenne d’investissement à la capitale ouzbèke (Tachkent), qui travaillera à élargir la coopération économique et à attirer des investissements dans la région. Une lettre d’intention a également été signée entre le Tadjikistan et la Banque européenne d’investissement pour développer le secteur des transports dans le pays, et ces investissements devraient doubler après le déploiement de nouveaux investissements européens dans les États membres de l’UE.
Élargissement des domaines de coopération futurs : Dans son discours lors du sommet, “Mirziyoyev” a appelé à initier la coopération future entre l’Asie centrale et l’UE dans plusieurs domaines, notamment les dialogues politiques, les cadres juridiques pour la coopération, l’économie et la modernisation technologique, la stabilité environnementale et les domaines éducatifs et culturels. Il a proposé de créer un forum parlementaire pour l’Asie centrale et l’UE afin de développer les relations parlementaires entre les deux régions. “Rahmon” a appelé à renforcer la mise en œuvre des projets prioritaires dans le cadre de “l’agenda vert” et des projets de communication par satellite, ainsi qu’à souligner l’importance de la coopération dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il a invité l’UE à participer à la “Conférence sur la conservation des glaciers” qui se tiendra cette année dans la capitale tadjik, Douchanbé. Il a souligné que le renforcement des relations économiques et commerciales entre l’Asie centrale et l’UE aurait un impact positif sur la stabilité et la croissance dans la région, tandis que “Tokayev” a proposé la création d’un centre de recherche régional pour les minéraux rares à Astana.
Coopération dans le domaine de l’énergie propre : “Tokayev” a appelé à porter une attention particulière au secteur de l’énergie, notamment parce que le Kazakhstan fournit 13 % des importations totales de pétrole de l’UE. Actuellement, le pays travaille à renforcer ses capacités dans le domaine des énergies propres, y compris l’énergie éolienne et solaire, et un projet de production d'”hydrogène vert” a été lancé avec des entreprises européennes telles que Total, Eni et Svevind. “Mirziyoyev” a précisé que le projet de station hydroélectrique Kambar-Ata-1 en Ouzbékistan est un projet important pour la coopération avec l’UE. “Rahmon” a appelé à attirer des investissements et des technologies européennes pour mettre en œuvre le projet de centrale hydroélectrique “Roghun” et réhabiliter la centrale “Nurek” pour renforcer l’extraction d’énergie propre ou “d’énergie verte”. L’UE est soucieuse de renforcer ses investissements dans les énergies renouvelables et propres pour atteindre son objectif de neutralité climatique d’ici 2050 et pour renforcer son indépendance dans les secteurs énergétiques stratégiques.
Insistance sur l’élargissement de la coopération sécuritaire conjointe : “Costa” a affirmé dans son discours lors du sommet que “les menaces sécuritaires ont pris un caractère transnational”, appelant à renforcer la coopération aux niveaux bilatéral, régional et multilatéral. Il a souligné la nécessité d’une coopération entre l’UE et les pays d’Asie centrale dans les domaines de la cybersécurité face aux menaces hybrides, des menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, de la sécurisation des frontières et de la prévention du trafic de drogue et de la traite des êtres humains. Parallèlement, les dirigeants des pays d’Asie centrale ont appelé l’UE à s’intéresser à la situation en Afghanistan, puisque cela représente une menace sécuritaire pour la région et l’UE, notamment en raison de la présence de plusieurs organisations terroristes et des craintes de leur infiltration dans les États de la région pour y mener des opérations terroristes. Ils ont affirmé que stabiliser la situation en Afghanistan et participer à sa reconstruction était partie intégrante de la sécurité nationale pour l’Asie centrale et l’UE. “Tokayev” a salué le début des négociations entre Moscou et Washington concernant l’arrêt de la guerre en Ukraine, car cela contribuera à établir la paix mondiale.
Attention accordée aux changements climatiques : Après la conclusion de leur sommet commun, les dirigeants de l’UE et d’Asie centrale ont assisté au “Forum climatique de Samarcande”, dédié à examiner les moyens de lutter contre les défis environnementaux et à renforcer la coopération internationale pour faire face aux changement climatique. “Mirziyoyev” a confirmé que “le changement climatique constitue un défi commun pour l’Asie centrale, où la sécheresse, la fonte des glaciers et le manque d’eau sont prédominants, et pour l’Europe, qui “souffre de chaleur extrême, d’incendies de forêt et de changements dans les écosystèmes” ; une coopération conjointe est donc nécessaire pour faire face à ces modifications. Il a affirmé que le combat contre le changement climatique contribuerait à la sécurité énergétique et à la sécurité alimentaire pour l’Asie centrale et l’Europe.
Implications géopolitiques
Le sommet entre l’UE et l’Asie centrale porte plusieurs implications clés, résumées comme suit :
Mise en avant de l’importance géostratégique de l’Asie centrale : Les pays d’Asie centrale revêtent une signification particulière pour l’UE en raison de leur situation stratégique à la frontière de la Russie et de la Chine, reliant ainsi l’UE à des éléments déterminants pour sa sécurité future. Ils possèdent aussi d’énormes réserves de pétrole, de gaz naturel, de ressources naturelles et de minéraux rares, sans parler de l’intensification de la concurrence internationale pour l’influence dans la région.
Soutien de l’UE à la stabilité en Asie centrale : Au cours des deux dernières décennies, l’UE s’est attachée à la coopération économique avec l’Asie centrale. Cependant, le sommet de Samarcande a marqué l’engagement européen à établir la stabilité et la sécurité dans cette région, ce qui est essentiel pour améliorer les perspectives de coopération entre les deux parties. La déclaration finale du sommet a affirmé “l’engagement de l’UE à coopérer pour la paix, la sécurité et la démocratie, avec un plein respect du droit international, de la Charte des Nations unies, et des principes fondamentaux de respect de l’indépendance et de la souveraineté de tous les pays ainsi que de l’intégrité territoriale”.
L’UE a accueilli “la Déclaration de Khojand” tripartite entre le Tadjikistan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan pour la délimitation de leurs frontières, car cela contribuera à instaurer la paix et la stabilité ainsi qu’à renforcer la coopération en Asie centrale. Ils ont également réaffirmé l’engagement de tous les États à s’abstenir de toute menace d’utilisation de la force ou de son utilisation dans leurs relations internationales, faisant notamment allusion à l’agression russe contre l’Ukraine ; les pays d’Asie centrale ont adopté une position neutre à cet égard, en condamnant l’agression tout en refusant d’imposer des sanctions à la Russie pour préserver leurs relations économiques avec Moscou. L’intérêt européen actuel pour la sécurité de l’Asie centrale pourrait la positionner comme une “alternative sécuritaire” à la Russie, ouvrant ainsi la voie à un rôle de soutien futur pour la sécurité et la souveraineté de ces pays contre toute intervention extérieure, ce qui renforcera l’influence européenne dans la région.
Accentuation de la compétition américano-européenne pour les minéraux rares en Asie centrale : L’UE envisage d’établir des chaînes de valeur locales pour les minéraux vitaux et rares en Asie centrale ; le Kazakhstan produit 19 des 34 matières premières essentielles pour l’économie de l’UE, notamment l’uranium, le titane, le cuivre, le lithium, le cobalt et le tungstène. Cela contribuera à renforcer l’autonomie des industries européennes et engendrera une concurrence avec Washington, après que Trump ait annoncé vouloir dominer les minéraux rares à l’échelle mondiale et engagé des négociations avec l’Ukraine à cet égard.
“Von der Leyen” a déclaré que ces matières premières constituent la ligne de vie de la future économie mondiale et un “trésor pour les acteurs mondiaux”. Elle a affirmé que l’UE s’efforcera de bâtir des partenariats pour développer les industries locales en Asie centrale liées aux minéraux rares, et non pas simplement les extraire et les exploiter. Cette politique fait partie d’une stratégie de l’UE visant à diversifier ses partenaires commerciaux et à renforcer sa coopération afin de faire face aux mesures protectionnistes imposées par Trump sur les pays du monde. Les pays d’Asie centrale cherchent à diversifier leurs partenaires et à attirer des investissements étrangers en évitant le clivage russo-américain et chinois, ce qui renforcera la coopération entre l’UE et l’Asie centrale à l’avenir sur la base d’avantages mutuels.
Volonté de l’UE de participer à des projets de corridors régionaux : “Von der Leyen” a affirmé que la position stratégique de l’Asie centrale pourrait ouvrir des routes commerciales mondiales et des flux d’investissement. Elle a souligné que “l’ouverture des frontières de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Turquie rapprocherait l’Europe et l’Asie centrale par le biais du corridor de la mer Caspienne”, et a révélé le souhait des Européens d’être partenaires de ces corridors pour établir l’Asie centrale comme un “pont” entre l’Asie et l’Europe.
Il convient de noter qu’il existe plusieurs corridors régionaux dans la région pour le transport de ressources énergétiques et de marchandises depuis ses États enclavés vers l’Europe, notamment le “corridor médian” et le “corridor sud”. Cependant, cela intensifiera la concurrence avec d’autres projets régionaux visant à établir ces corridors, notamment ceux provenant de la Turquie et de l’Azerbaïdjan, puisque la onzième réunion du Conseil consultatif du corridor de gaz sud a eu lieu simultanément avec le sommet. Au cours de cette réunion, le président de l’Azerbaïdjan, “Ilham Aliyev”, a déclaré le 4 avril 2025 que “son pays, en fournissant du gaz à l’Europe, est un partenaire fiable pour le continent dans le domaine de l’énergie, et actuellement Bakou vend du gaz à 10 pays européens”.
Intensification de la concurrence internationale en Asie centrale : L’UE a réussi à s’imposer comme un acteur économique et politique majeur en Asie centrale, et ce rôle pourrait évoluer vers un rôle de sécurité futur à la lumière des résultats des discussions russo-américaines pour mettre fin à la guerre en Ukraine ; Bruxelles a proposé d’envoyer des forces de “maintien de la paix” européennes à Kiev, ce qui pourrait entraîner une coopération sécuritaire entre l’UE et l’Asie centrale pour atteindre cet objectif, provoquant une intensification de la concurrence russo-européenne dans la région. La Russie maintient des bases militaires en Asie centrale, et cette dernière craint une répétition du scénario ukrainien. Parallèlement, les projets économiques européens vont faire face à une forte concurrence de la part de la Chine, premier partenaire commercial et investisseur dans la région, ainsi que de la Turquie, qui entretient des relations stratégiques avec l’Asie centrale, faisant de cette région une arène de concurrence régionale et internationale qui impactera la stabilité interne des États de la région.
En conclusion, l’Union européenne a amorcé son rôle en tant qu’acteur clé et partenaire stratégique de l’Asie centrale à travers le sommet de Samarcande, tandis que les pays d’Asie centrale œuvrent pour renforcer l’intégration régionale interne afin d’accroître leur poids international. L’UE pourrait réussir à devenir l’acteur principal de la région, notamment en raison de l’engagement américain et chinois dans leurs guerres commerciales et de l’attention russe portée à la fin du conflit ukrainien ; cela offrira à l’UE une opportunité en or d’obtenir des ressources naturelles et rares d’Asie centrale en mettant en œuvre des corridors de transport régionaux, ce qui réalisera l’indépendance économique européenne et renforcera son rôle régional et international.

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