Dans un monde hautement complexe et interconnecté, il y a eu une montée notable des mouvements nationalistes et populistes ces dernières années en Europe et en Amérique du Nord. Ces mouvements adoptent une approche conservatrice qui mêle nationalisme et populisme, accompagnée de sentiments anti-mondialisation et d’une opposition à l’ouverture des frontières pour les migrants. Un exemple marquant est la position de l’ancien président américain Donald Trump durant sa première présidence, qui continue d’informer sa vision alors qu’il entame son second mandat à partir du 20 janvier 2025. Des mouvements nationalistes et populistes similaires ont émergé au Canada, en Europe et en Amérique latine.

Dans ce contexte, le livre Monde de la droite : conservatisme radical et ordre mondial, publié en 2024 par l’Université de Cambridge et écrit par un groupe de contributeurs, met en lumière ces mouvements nationalistes et populistes (la droite radicale). Bien qu’ils puissent sembler divers à première vue, ils partagent une défiance commune envers la démocratie libérale et ses institutions et valeurs dominantes, même s’ils n’expriment pas ouvertement d’hostilité envers elles.

En conséquence, le livre suit comment les mouvements nationalistes cherchent à établir leur présence au sein des institutions libérales clés des sociétés et des États occidentaux afin de saper la souveraineté nationale et les valeurs traditionnelles. De plus, ces mouvements se concentrent sur l’identité civique et montrent une aversion à l’internationalisme libéral, ouvrant ainsi la voie à une coordination avec des États non libéraux, comme la Chine et la Russie, qui partagent l’objectif de saper l’hégémonie libérale occidentale et l’ordre international dirigé par les États-Unis et l’UE.

Le monde de la droite et Gramsci :

La droite radicale contemporaine combine d’une part des tendances nationalistes et locales, et d’autre part des aspirations globales, tant sur le plan conceptuel qu’organisationnel. Dans ce contexte, la droite cherche à mobiliser les groupes issus du libéralisme et de la mondialisation, qui ont depuis subi une marginalisation en raison de la mondialisation elle-même. Cela a conduit à la formation d’alliances transnationales et interrégionales vers un objectif commun. En d’autres termes, les idéologies s’opposant à l’hégémonie libérale globale servent de cadre général unissant divers acteurs et agendas malgré la diversité de leurs contextes et préoccupations.

Dans le cadre du livre, le terme « monde de la droite » est le produit d’un projet idéologique s’étendant sur cinquante ans, influencé par les idées du penseur marxiste italien Antonio Gramsci. Il a souligné que le pouvoir politique ne se limite pas à la contrainte ; il implique également « le consentement », la culture jouant un rôle vital dans la formation de ce consentement. Dans ce contexte, le pouvoir ne devient dominant que lorsque trois variables interagissent : idées, institutions et capacités matérielles. Grâce à cette interaction, une « bloc historique » émerge d’une alliance de classes sociales visant à consolider son pouvoir en unifiant des normes mondiales. Toutefois, des forces opposées sont attendues à émerger contre cette avancée dominante, entraînant un conflit de classes ouvert où ces forces forment une « contre-hégémonie ». Si cette contre-hégémonie croît suffisamment, elle pourra absorber le bloc historique actuel et le remplacer par un nouveau bloc.

En lien avec cela, le livre observe que les forces de droite radicale, de la France au Brésil et à l’Inde, ont explicitement adopté des idées « gramsciennes » dans leurs efforts pour renverser l’hégémonie culturelle de gauche, créer de nouveaux blocs historiques et mobiliser des mouvements anti-hégémoniques. Cette stratégie a nécessité des décennies de préparation, et ses racines peuvent être retracées en Europe occidentale, en particulier au sein de la nouvelle droite parisienne des années 1960. Par exemple, le journaliste de droite français Dominique Venner, dans les années 1970, a appelé à ce qui est devenu connu sous le nom de « gramscisme de droite », axé sur la critique de la politique contemporaine, de la vie sociale et de la mondialisation, sur la base de l’hypothèse que le monde dans lequel nous vivons est dominé par le « managérialisme ».

Les membres de la droite américaine, tels que le philosophe James Burnham, ont adopté l’idéologie managérialiste qui est née de la gauche anti-stalinienne dans les années 1920. Ils ont considéré dans les années 1950 que la « nouvelle classe » des techniciens, avocats, comptables et directeurs d’entreprise partagent plus de points communs à travers les pays et les cultures que toute autre catégorie au sein de ces pays et cultures. L’opposition à cette classe présumée a constitué les fondements conceptuels sur lesquels repose l’idéologie de droite contemporaine.

Aujourd’hui, les forces de droite radicales à travers le monde évoquent régulièrement les idées de Gramsci comme source d’inspiration stratégique. Par exemple, le penseur principal associé à l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro (1er janvier 2019 – 31 décembre 2022) est souvent désigné comme le « Gramsci du Brésil ».

La propagation des idées de droite :

Les auteurs du livre soutiennent que la lutte de la droite radicale contre l’hégémonie au XXIe siècle n’a pas été limitée au niveau intellectuel mais s’est également étendue à l’application pratique. Dans ce contexte, les médias sociaux et le monde numérique ont joué un rôle crucial dans la diffusion de ces idées, en complément de leur promotion dans des arènes traditionnelles telles que les universités et l’édition académique. Au cours de la dernière décennie, il y a eu une croissance significative des maisons d’édition de droite radicale qui ont réédité des textes classiques de droite et ont publié de nouveaux écrits. Ces maisons d’édition ont veillé à traduire les idées de la droite radicale en Europe, en particulier celles liées à la lutte contre l’hégémonie, en anglais dans le but d’accroître la propagation de ces concepts.

Les auteurs supposent que les partisans de la droite s’efforcent de construire une histoire idéologique qui les distingue du fascisme, affirmant leur droit d’exister dans les universités, et visant même à transformer ces institutions pour qu’elles soient en accord avec leurs idées. Dans ce contexte, la droite radicale vise à établir de nouvelles universités et institutions éducatives pour promouvoir sa vision intellectuelle et former une nouvelle élite. Par exemple, en Hongrie, sous la direction de Viktor Orbán, au moins deux nouvelles universités ont été créées pour éduquer et former des élites de droite radicale. Ces universités visent à promouvoir des valeurs de droite contre les anciennes élites libérales. En France, Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen, a fondé une école à Lyon consacrée à la formation d’une nouvelle élite conservatrice radicale. De plus, ces institutions éducatives collaborent avec des institutions d’élite dans le monde entier, reflétant des alliances larges qui renforcent l’impact de la droite radicale à l’échelle mondiale.

Vision du système international :

Bien qu’il existe une grande diversité au sein des mouvements de droite à travers le monde, trois ressemblances fondamentales peuvent être identifiées dans leur vision du système international :

Premièrement, la droite radicale s’oppose à la mondialisation, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elle est contre l’internationalisme. Elle ne cherche pas à abolir toutes les institutions internationales comme les Nations unies ou l’Organisation mondiale du commerce ; au contraire, elle vise à changer ces institutions de l’intérieur de manière à permettre l’application de politiques qui renforcent la souveraineté nationale des États. Dans ce contexte, les effets de ces efforts peuvent déjà être observés dans l’Union européenne.

Deuxièmement, les partisans de la droite radicale supposent que le monde est composé de cultures ou civilisations multiples, qui représentent la valeur réelle du monde. Ils estiment que la libéralisation mondiale a détruit cette diversité culturelle. Cette croyance offre au droit radical la possibilité de former des alliances avec les peuples et les pays du Sud mondial, qui ressentent également que leurs cultures sont détruites ou dévalorisées en raison de la libéralisation mondiale.

Troisièmement, la droite radicale croit en la multipolarité, mais pas du point de vue des théories des relations internationales, mais plutôt d’un point de vue de pluralité civique. Sa vision consiste en un monde composé de civilisations diverses qui coopèrent lorsque cela est nécessaire, mais ne s’orientent pas vers une culture commune ou des valeurs universelles. Cette vision lui permet de bâtir des alliances avec d’autres cultures ou pays, y compris des pays non libéraux comme la Chine et la Russie, qui partagent des perspectives civiques similaires.

Rejet des politiques internationales :

En général, les auteurs posent l’hypothèse que les figures de droite radicale ne sont pas des mondialistes. Malgré le fait qu’ils possèdent une culture qui les distingue, ils reconnaissent la diversité et les différences entre eux. L’idée du droit à la préservation de la culture, des traditions et des valeurs propres a trouvé une large acceptation. Dans ce contexte, les auteurs estiment que ces groupes résistent aux impositions occidentales, y compris les politiques des Nations unies concernant l’égalité entre les sexes et les droits des personnes LGBTQ.

Par exemple, la Russie a adopté une position anti-impérialiste envers l’Occident, appelant à un ordre mondial multipolaire fondé sur le respect de la diversité culturelle et à établir des alliances avec les pays du Sud mondial, ce qui peut être constaté dans les déclarations publiques des responsables russes sur l’impérialisme, la civilisation, le nationalisme, et plus encore. Ces déclarations et idées ne doivent pas être sous-estimées, car elles contribuent à déstabiliser les piliers fondamentaux de l’ordre international libéral à long terme, selon le livre.

Le livre ajoute que la reconnaissance des différences parmi les mouvements de droite radicale dans le monde leur permet de rejeter des concepts fascistes de supériorité civile ou raciale. Au contraire, ils affirment que ce sont les libéraux qui promeuvent l’idée de supériorité par rapport au reste du monde, en plus des efforts des institutions libérales telles que la Cour pénale internationale, la Banque mondiale et d’autres organes libéraux pour imposer certaines idées dans le monde qui ne conviennent pas à toutes les cultures. Étant donné que les institutions sont un élément fondamental dans la structuration du nouvel ordre selon Gramsci, la droite radicale fait face à un défi majeur : délégitimer les institutions existantes et établir des institutions alternatives qui soient en accord avec sa vision, une tâche qui est loin d’être facile. Ainsi, la droite radicale ne s’oppose plus ouvertement aux institutions existantes, mais cherche à consolider sa présence, son influence et son impact à l’intérieur de celles-ci.

Il y avait une croyance répandue selon laquelle les mouvements de droite étaient incapables de rivaliser face à la puissance établie des institutions libérales mondiales existantes, et que le maximum que la droite radicale pouvait atteindre était d’obtenir un rôle limité dans un gouvernement de coalition dans l’un des petits États européens. Cependant, ces dernières années, ces mouvements ont montré une vitalité dans de grands pays, atteignant même la présidence des États-Unis.

En conclusion, le livre montre comment les penseurs conservateurs radicaux ont développé des stratégies à long terme contre l’hégémonie ; visant à défier les systèmes sociaux et politiques prévalents aux niveaux national et international. Ce projet idéologique s’est centré sur une critique de la mondialisation libérale, qui a cherché à rassembler des alliances transversales contre un ennemi commun : la « nouvelle classe » des élites managériales mondiales accusées de saper la souveraineté nationale, les valeurs et les traditions culturelles. Le livre souligne également qu’en dépit du fait que la droite radicale ne soit pas un mouvement politique unifié, ses appels à la souveraineté, aux systèmes civils et à la multipolarité ont permis de créer un rapprochement stratégique complexe avec des États non libéraux tels que la Chine et la Russie, ainsi qu’avec des pays et des peuples du Sud mondial. Cela confère aux conséquences potentielles de la droite sur l’avenir de l’ordre mondial libéral une portée profonde et étendue.

Source :
Rita Abrahamsen, Jean-François Drolet, Michael C. Williams, Srdjan Vucetic, Karin Narita et Alexandra Gheciu. Monde de la droite : conservatisme radical et ordre mondial. Cambridge University Press, 2024.

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